Bonjour tout le monde !

Dans l’article précédent, nous avons parlé des ellipses temporelles (E.T.) en abordant la définition et en se penchant sur le procédé de Jump Cut, enchaînement de plans au cinéma où l’on omet une partie de la chronologie (par exemple, les personnages qui vont aux toilettes ou qui cherchent une place de parking pour la voiture – admettez : pas très intéressant).
Nous continuons aujourd’hui avec les ellipses en musique. Comme promis, je vous donnerai les exemples que j’analyse en ce moment dans mon propre travail de créateur de spectacle.

Les ellipses en musique

L’Ellipse temporelle telle que nous l’avons vue dans l’exemple du film Intouchables, cet enchaînement de plans qu’on appelle Jump Cut dans le jargon, est vraiment propre au cinéma. C’est vrai, il existe de nombreuses astuces théâtrales pour obtenir le même genre d’effet sur scène (ce sera l’objet du 3è volet de cet article), mais il faut admettre que le montage cinématographique rend la chose particulièrement efficace.

Parlons tout de suite de quelque chose qui peut facilement s’adapter au spectacle : de plus longues séquences où un PAQUET d’ellipses s’enchaînent. Ces scènes sont très souvent accompagnées de musiques (souvent chantées dans les films) et décrivent des processus qui durent. Par exemple, une grossesse de 9 mois résumée en 3 minutes ; un régime alimentaire de 2 mois en 2 minutes ; des années de guerre en 1 minute ; … tout peut aller très vite ! Faisons un petit tour d’horizon. N’hésitez pas, si vous avez d’autres films en tête, à me les noter en commentaires ! ☺

Les génériques de début

C’est vu et revu mille fois, mais quoi de mieux que le générique d’ouverture pour présenter rapidement le personnage principal ou une situation ? Le réalisateur a l’occasion de montrer plein de choses en très peu de temps puisque, d’une part, son job est de faire apparaître une bonne quantité de noms à l’écran (les crédits) ; et d’autre part, il n’a pas encore complètement touché l’attention des spectateurs, celle qui se développera (ou pas) au fil du déroulement de l’histoire et donnera l’envie de ne pas en perdre une miette (ou au contraire de sortir de la salle pour aller prendre une bière…)

Accrocher le public fait donc partie de la mission de cette ouverture. Pour les films commerciaux, il est normal de proposer une musique commerciale ou très connue, entraînante, pour que la sauce prenne d’emblée.

1/

Dans Le Diable s’habille en Prada de David Frankel, tout est réuni pour qu’on comprenne de suite l’ambiance du film. Sur le titre Suddenly I See (KT Tunstall), on suit Anne Hathaway dans sa routine du matin, tandis qu’elle se prépare pour un entretien d’embauche. Évidemment, on ne voit pas toutes ses actions matinales ! Ça pourrait être moins glamour 😉

2/

Dans The Shining de Stanley Kubrick, on ne suit pas vraiment des personnages au début du film, mais le trajet qu’ils font pour se rendre à l’hôtel où l’histoire se déroulera. On ne sait encore rien d’eux ; on ne sait même pas qui ils sont ; on ne sait rien encore à propos de ce lieu de destination. On apprend juste par cette séquence de quelques minutes que la voiture a parcouru un très long chemin ! Un début très mystérieux pour une série d’ellipses très identiques, de paysage en paysage.

Les actions qui durent / Les routines qui s’installent

3/

Dans Forrest Gump (Robert Zemeckis), quand le héros entame sa plus longue course, sans prévoir combien de temps elle va durer, le thème musical résonne dans les oreilles, tandis que la voix off raconte l’histoire (Forrest est en fait assis sur un banc à côté d’une vieille dame à qui il raconte son passé). L’ellipse est donc toute naturelle, comme dans toutes les histoires qu’on raconte, finalement. Des années passent et la barbe pousse… en quelques minutes.

4/

Mrs Doubtfire (Chris Colombus)

Une fois que Daniel Hillard, personnage campé par Robin Williams, a trouvé le moyen de s’incruster dans le foyer de son ex-femme pour mieux profiter de ses enfants, un tournant s’opère dans l’histoire et la nouvelle situation de stabilité doit être exposée.

Pour montrer aux spectateurs qu’une nouvelle routine s’installe dans la vie de la fausse gouvernante et des enfants, une séquence très sympathique se déroule pendant la chanson habilement choisie Dude, Looks Like a Lady du groupe Aerosmith. On imagine sans difficultés plusieurs semaines s’écouler.

Le vieillissement

Quand on veut montrer, une fois la situation narrative stable, que la vie continue telle quelle, on montre parfois le personnage qui vieillit. Plus difficile à faire au théâtre, cela reste néanmoins possible grâce aux ingénieux costumes et maquillages.

5/

Dans Le Roi Lion de Disney, Timon, Pumba et Simba chantent Hakuna Matata… pendant des années ☺ A la minute 3’08, il suffit de quelques secondes pour voir Simba grandir et devenir un vrai lion, dans une superbe scène mêlant 3D (c’est le début de la nouvelle ère Disney, avec la technique du CAPS) et couleurs chatoyantes. Ces quelques secondes et la fin de la chanson suffisent à faire comprendre que Simba a trouvé un bel équilibre pendant des mois, voire des années, en vivant avec les deux comiques de l’aventure.

6/

Dans un autre Disney, Son of Man est chanté par Phil Collins pendant que le jeune Tarzan vit et grandit dans la jungle. Contrairement à Hakuna Matata, ce chant n’est pas celui d’un personnage de l’histoire. Le procédé est donc plus proche de celui du Diable s’habille en Prada, cité ci-dessus. Plus tard dans le film, on retrouve d’ailleurs une séquence semblable avec la chanson Two Worlds du même chanteur.

Les trajets / voyages

7/

La très belle chanson I can go the distance (Le monde qui est le mien) du film Hercules de Disney. Le héros apprend qu’il est peut-être un (mi-)Dieu et prend la route pour enquêter sur ses origines.

8/

Autour de la Rivière (Pocahontas – Disney) est la chanson qui permet à l’héroïne de raconter sa situation : elle est contente de ne pas savoir ce que l’avenir lui réserve, elle aime les surprises du destin ; elle refuse de se conformer à la tradition et d’épouser celui qu’on lui promet.

9/

Ice Age

Dans le film d’animation des studios Dreamworks, les trois créatures préhistoriques se baladent avec un jeune enfant qu’ils veulent rendre à sa famille. Pour illustrer le temps qui passe, le réalisateur Chris Wedge a décidé de proposer Send me on my way, la chanson sympathique de Rusted Root.

10/

Sur la belle musique de John Williams, Indiana Jones fait un long voyage dans les airs. On suit à la fois, sur un procédé de fondu, l’image de l’avion et la carte du monde sur laquelle se trace l’itinéraire.

Les transformations / Les entraînements

C’est bien normal que les films où survient une transformation (bien souvent du héros) nous proposent des ellipses en musique. Il faut dynamiser les enchaînements pour qu’on comprenne l’accélération et/ou la durée des transformations.

On pense notamment à tous les films d’arts martiaux où le héros novice doit devenir le maître du combat !

11/

Dans Million Dollar Baby de Clint Eastwood, Margaret doit s’entraîner dur : elle a enfin trouvé un coach qui veut bien la suivre et la préparer au ring. Sur une musique étonnamment calme pour ce genre de séquence, Eastwood nous montre que ce n’est pas du « gros film de combat » qu’il réalise. On est loin des trompettes de Rocky, quoi.

12/

Dans Miss Détective (Miss Congienality), Sandra Bullock joue le rôle d’une flic très garçonne qui doit s’introduire incognito dans un concours de miss… Elle doit donc passer une série d’épreuves censées la féminiser (dans le sens séduction du terme).

13/

Dans Kung Fu Panda, le gros Po est entraîné par le petit Shifu, un maître à la Yoda qui, contrairement au personnage de Star Wars, n’utilise pas la force comme source de motivation de l’élève… mais la bouffe ! Les abdos, les pompes, etc. se font toujours face à une ration de dimsums ou autres soupes japonaises… L’ellipse commence à 1’10 et s’arrête à 2’12 : une minute suffit dans tout le film pour faire passer le panda de débutant à expérimenté. La suite de la vidéo est une chouette scène de retour au temps réel où l’animal prouve qu’il a acquis la technique enseignée.

14/

Dans cette séquence à la musique épique du nouveau Karate Kid, on retrouve une série d’ellipses qui énonce deux histoires parallèles. À la fois Jackie Chan (le maître) qui entraîne Jaden Smith (l’apprenti) (le fils de Will Smith pour ceux qui, comme moi, ne le savaient pas) ; et d’autre part le jeune garçon qui montre un intérêt certain pour une camarade de classe, sans oser l’approcher.

Cette simple « division » de séquence, qui raconte deux choses en même temps, change beaucoup des ellipses d’« entraînement » qu’on a l’habitude de voir au cinéma.

15/

L’Entraînement d’Hercules, dans le film de Disney, répond aux deux catégories entraînement et vieillissement. Le satyre qui, au départ, ne veut pas se charger de l’entraînement du jeune et maladroit Hercules, se laisse convaincre et passe des années à lui apprendre à gérer sa force légendaire.

On retrouve évidemment d’autres exemples dans les chansons Disney. Dans Prince Ali (Aladdin), toute la parade d’entrée du nouveau prince se déroule en 3 minutes, le temps pour le génie de pousser la chansonnette. Contrairement à Sous l’Océan ; Partir Là-Bas ; C’est La Fête ; Peu pour Être Heureux ; Bibbidi-Bobbidi-Boo ; qui, elles, se déroulent toutes en temps réel.

16/

Dans Twilight – New Moon (le deuxième de la saga) de Chris Weitz, Bella déprime parce qu’Edward l’a quittée. Sur la musique Possibility de Lykke Li, les mois défilent et la jeune fille s’enfonce…

Si vous en avez d’autres en tête, n’hésitez pas à me laisser un commentaire !

A bientôt dans la 3ème partie de l’article, où nous verrons comment les ellipses sont présentées sur scène, dans les comédies musicales !

Sébastien

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photo : Freaktography