Il n’y a pas longtemps, j’ai quitté une chorale d’enfants que je dirigeais depuis 2009. C’était un bon groupe, avec un comité à l’écoute des demandes, avec des enfants motivés par les projets, bref les au-revoirs ne furent pas nécessairement faciles. Vu la difficulté de trouver un remplaçant (ceux qui le vivent le savent : ça prend beaucoup de temps et d’implication), deux jeunes gens très inventifs sont arrivés en septembre dernier pour maintenir le petit chœur en vie. Cela m’a donné une idée d’article…

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Depuis 2009, j’ai suivi des cours de direction d’orchestre, de direction chorale, j’ai dirigé plusieurs spectacles avec chœur, j’en ai montés également, et j’ai accumulé quelques expériences dans les académies (écoles de musique) et j’ai moi-même donné des cours de techniques de direction. Loin de connaître tous les ressorts du métier (on en apprend tous les jours et tant mieux) , je me sens néanmoins capable de certaines choses et précis dans mon domaine ; assez en tout cas que pour donner quelques conseils aux chefs débutants.

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DodsonSingsSantaBarbara.jpg: Operation Rising Star winner Joyce Dodson sings "Faith and Hope," written by U.S. Army Soldier Show director Victor Hurtado and David Ylvisakir, as part of the Steven Roberts Learn to Sing Gospel Workshop and Concert Feb. 7 at the First Presbyterian Church in Pasadena, Calif. Photo by Tim Hipps, FMWRC Public Affairs
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C’est parti, voici quelques astuces de base si vous entrez de pleins pieds dans un nouveau chœur en tant que directeur musical.

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  1. C’est en forgeant qu’on devient forgeron.
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Ne vous inquiétez pas si certaines choses vous paraissent encore floues. Chaque petite (ou grosse) erreur que vous allez commettre sera une occasion de ne plus la refaire. Soyez patients, Rome ne s’est pas faite en un jour. Imaginez Rafael Nadal à son premier cours de tennis : croyez-vous que son revers était bon ? Non ! Savait-il seulement ce qu’était un revers ? 🙂 Bon j’exagère peut-être un peu. Bref, pas de stress : soyez ouverts et motivés à apprendre. La première chose et la seule dont vous devez vous préoccuper réellement au tout début, c’est apprendre et connaître vos chants, ou vos partitions si vous travaillez avec des portées 😉

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  1. Apprenez immédiatement les prénoms.

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Je me fous qu’il y ait 10, 20, 30 ou 100 personnes dans votre chœur : la seule façon d’entrer en communion avec « le groupe », c’est de connaître au moins le prénom de chacun. Bon, c’est sûr que si vous vous retrouvez face à 150 personnes (j’ai déjà été choriste dans un tel groupe, c’est impressionnant), cela vous prendra quelques semaines, mais persistez dans votre apprentissage. Servez-vous de moyens mnémotechniques, de petits trucs, de discussions hors-répétition (à la pause, par exemple).
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Il y a deux raisons principales à ce que je mette ceci en point 2.
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D’abord, l’être humain est comme ça ; le fait d’être appelé par son prénom est ressenti comme quelque chose de valorisant. C’est inconscient, la plupart du temps, mais c’est lié aux souvenirs d’enfance : votre prénom est l’un des mots que vous avez le plus entendu étant jeune, c’est souvent un mot qui évoque de bons souvenirs. Ensuite, pour la partie consciente : parler à quelqu’un qui oublie votre prénom peut être perçu comme une dévalorisation, surtout chez les personnes à faible estime de soi. Or, dans toute discipline liée de près ou de loin à l’enseignement, on passe son temps à vouloir valoriser les élèves : renforcement positif ! Si vous voulez en savoir plus, je vous recommande de lire le très bon bouquin de Dale Carnegie 🙂 Ça sera un début.

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Deuxième bonne raison : si un choriste vous pose vraiment des soucis (là, on parle plus spécifiquement des chœurs d’enfants et d’ados), vous aurez tout de suite plus d’impact pour l’interpeller et le remettre à sa place 😉

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  1. Prenez des cours de direction

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Personne ne vous demande de devenir le nouveau Abbado ou Boulez : certains gestes bien pratiques vous feront cependant gagner en précision. À nouveau, c’est comme pour tout : ça s’apprend et ça se développe.

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« Mais le style de chaque chef est différent » avez-vous déjà entendu.

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Complètement vrai ! Cela dit, le style ne peut réellement faire son apparition qu’après l’acquisition d’un minimum d’aisance. Tout le monde y gagne : vous, qui vous améliorez ; vos choristes qui se sentent plus en sécurité ; votre public ; vos instrumentistes accompagnateurs qui sauront toujours où vous voulez en venir.

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Vous pouvez également lire, lire et lire ! Il y a des tas d’ouvrages qui vont vous aider. Prenez simplement ceux-ci, référencés sur la page wikipédia « chef de chœur ». Cliquez sur le lien de la 4ème ligne : un pdf gratuit pour attiser votre curiosité avant de vous plonger dans des ouvrages plus conséquents.

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  • Pierre Kaelin, Le Livre du chef de chœur : essai d’une méthode d’art choral (avant-propos d’Ernest Ansermet), Genève, Édition René Kister, 1949.
  • Christian Wagner, Faire chanter, éd. À cœur joie, 1984
  • Jean-François Sénart, Le Geste musicien, éd. À cœur joie, 1995.
  • [PDF] Frédéric Sorhaïtz, La Direction de chœur : Notions théoriques et pratiques, 2010

.(Je dédierai un article futur aux chroniques des livres que j’ai lus).
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  1. Prenez des cours de chant

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Oui ! Aussi ! Prenez tout ce que vous pouvez prendre : formations, cours privés, stages, etc. Vous allez non seulement découvrir plein de choses sur votre corps, votre appareil vocal, vos capacités, vos difficultés,… Vous allez apprendre à gérer votre voix parlée et projetée pour vous adresser à de gros groupes sans vous faire mal*… Mais vous allez aussi pouvoir vous mettre dans la peau (et le larynx) des choristes à qui vous demandez tant de choses. (* Ce conseil est applicable à TOUS les enseignants de l’école maternelle et primaire, que j’entends souvent crier quand je passe dans les classes 🙂 Regardez dans les formulaires des formations en cours d’année : la gestion vocale est peut-être déjà proposée et ses premiers principes sont liés à ceux du chant : foncez! )

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À nouveau, agrémentez cet apprentissage de lectures. Bien sûr, orientez-vous vers des ouvrages adaptés : si vous dirigez des enfants, ou des femmes uniquement, des hommes uniquement, des chœurs mixtes… les connaissances minimales sont un peu différentes. Pour les enfants, voici par exemple un bouquin intéressant de ma bibliothèque :

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Jocelyne SARFATI, Anne-Marie VINTENAT, Catherine CHOQUART. La voix de l’enfant. Ed. Solal, 2007.
J’en ferai un jour la chronique sur ce blog.

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  1. Soyez choristes vous-mêmes !

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Même si le répertoire est différent : faites-vous plaisir en même temps !

Vous apprendrez de nombreuses choses par rapport à votre chef. Observez-le bien et posez-vous ces questions :

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  • Comment obtient-il la précision de ses choristes ?
  • Comment obtient-il l’approbation/le soutien de ses choristes ?
  • Qu’est-ce que j’aime dans sa direction ? Qu’est-ce que je ferais différemment et pourquoi ?
  • Comment utilise-t-il le renforcement positif et quels sont les effets ?
  • Quels sont, au contraire, les effets d’un énervement ou d’une dévalorisation sur le groupe ?

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N’hésitez pas à trouver votre chef en fin de répétition pour lui poser des questions si vous hésitez sur une signification de geste ou si vous avez d’autres interrogations. La plupart des maestros seront contents de vous aider.

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  1. Pensez à vos instrumentistes !

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C’est une erreur assez commune. Le/la pianiste n’est pas là à chaque répétition et quand il/elle arrive, rien n’est prêt pour lui/elle.

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Si vous vous occupez vous-mêmes des partitions et si votre pianiste se débrouille bien, veillez à avoir au moins les accords et la structure prêts à être lus. Quelque soit la chanson, c’est très très souvent trouvable sur internet. Si vous êtes un peu musicien vous-mêmes, vous corrigerez, au besoin, les accords un peu farfelus trouvés des pages web alimentées par des mélomanes pas toujours précis.

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La structure (j’insiste) est très importante. Si vous faites des modifications dans des œuvres préexistantes (vous changez le texte, le nombre de mesures, vous transformez des phrases chantées en phrases parlées), vous devez l’expliquer clairement quelque part : sur une partition ou même une feuille. Ce n’est pas grave si vous le faites en répétition mais même en connaissant votre pianiste, vous risquez de perdre beaucoup de temps.

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Vous gagnerez un temps fou à être clair dans vos explications dès le début. Et attention, tous les pianistes ne sont pas « doués » en lecture à vue, en déchiffrage d’accords, en improvisation, en flexibilité… Sachez à l’avance à qui vous avez affaire.

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De même, faites très attention à vos enchaînements (passage du couplet au refrain, par exemple). Si vous avez l’habitude de répéter sans piano, vous pourrez, sans même vous en rendre compte, induire votre chœur en erreur en « bouffant une mesure » ou une partie de mesure. (C’est comme ça qu’on dit chez moi 🙂 On « bouffe des mesures ». Pas chez vous ?)
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En gros, ça veut dire que par peur du vide (une particularité fréquente chez les musiciens qui ont quelques lacunes rythmiques ou chez les plus stressés d’entre nous), deux mesures de 4 temps au piano seul (sans les voix) se transforment en une seule mesure à l’exécution: vous avez donc « mangé » 4 pulsations. Le pianiste, lui, a respecté sa partition et tout le monde se retrouve décalé. Parfois, c’est l’inverse ; une mesure à 4 temps se voit soudain attribuer un 5ème temps car la battue (le geste du chef) est incertaine.

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accompagnatrice
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Si votre accompagnateur est à l’écoute et s’il est « flexible », il vous rattrapera (oui, on dit de toute façon que c’est toujours la faute pianiste 🙂 ) mais c’est tout de même mieux de lui éviter ce genre de surprises, non ?

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  1. Attention à la mise en scène

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Vous avez des idées de mise en scène !? Super ! Ne vous privez pas. Cela ne se voit plus nulle part, de nos jours, un chœur statique qui chante 1h30 sans bouger, sans interpréter son texte, sans interpeller le public (sauf chœur symphonique ou à la réputation très classique).

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Nous sommes dans une génération « pluridisciplinaire » alimentée de shows en tout genre (Broadway, télévision, Youtube…) où les artistes peuvent tout faire (le fameux triple threat du Musical Theatre : dance, act, sing). Ils sont même énervants de capacités des fois, non? 😀
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C’est Super ! OUI ! Mais vous devez toujours vous poser la question du résultat.
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Même si, à priori, la première vocation d’un chœur est de produire de beaux unissons et de belles polyphonies, voici mon conseil basé sur le lectorat très diversifié de ce blog :

Si votre première force est la mise en scène et si c’est ce que le public attend, n’hésitez pas : lâchez-vous. Si votre première force (et ce que le public attend) est la danse : lâchez-vous ! On danse ! Si votre première force est le chant : soyez attentif au maintien d’une bonne qualité vocale avant de travailler les gestes.

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Dans tous les cas, cela ne sert à rien d’essayer de faire bouger/danser/tourner des choristes tant qu’ils ne sont pas à l’aise avec leurs notes. Même une gestuelle très simple requiert une énorme concentration supplémentaire et dans un premier temps (une autre zone du cerveau s’active et des liens entre les zones doivent se créer), il est normal que certains choristes n’arrivent pas à « faire plusieurs choses en même temps ».
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Néanmoins, si peu importe le travail que vous faites, vous voyez de jolis mouvements mais que vous n’entendez plus votre deuxième voix ; si la vitesse de croisière ne revient pas rapidement ; si vous ne progressez plus ; c’est signe que vous êtes allés trop vite ! Ne vous acharnez pas, revenez en arrière et assurez à fond la qualité de ce pupitre, quitte à éliminer définitivement la super idée visuelle que vous aviez. (Ne vous inquiétez pas, elle servira une prochaine fois ou vous aura appris une leçon importante).
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Cela dit, restez confiants. Si vous connaissez votre groupe, vous savez qui désigner pour quel geste et quelle intervention. Restez juste vigilant à ne pas sauter les étapes.

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  1. Anticipez vos salles de spectacles !

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Dans le même ordre d’idée, ne vous privez pas de mise en scène mais soyez le plus vite possible au courant du type de salle dans lesquelles vous les présenterez.

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Exemples typiques : vous voulez faire tourner des enfants en ronde folklorique ; vous prévoyez des poiriers, des roues et autres acrobaties ; vous souhaitez prévoir des passages dans le public… Ce n’est pas possible partout !

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La salle S n’a pas d’éclairage dans le public et vos choristes seront dans le noir ; dans la salle T, les chanteurs doivent monter sur scène grâce à un (et un seul) petit escalier (s’ils sont nombreux ou âgés, cela prendra un certain temps !) ; dans la salle U qui est en fait une église, vous ne pouvez pas déplacer l’autel du chœur et de petites marches séparent le transept du public (attention aux bobos) ; dans la salle V, il n’y a pas d’allées dans le public (petit théâtre à gradins, par exemple) et vous devez repenser vos entrées et sorties ; dans la salle W, il y a des loges et des coulisses alors que dans la X, il n’y en a pas.

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Quand votre spectacle de chorale prend des allures de comédie musicale, il faut s’attendre à réfléchir comme un metteur en scène, un scénographe et un technicien. Vous devez vous assurer que vos choristes seront toujours :

  • en sécurité.
  • entendus (et si souhaité, vus) du public.

Cela implique donc une réflexion « lumière, micros et personnel disponibles ». En effet, un choriste qui doit soudain déclamer une phrase pendant l’accompagnement ininterrompu du piano ne sera pas forcément entendu sans aide.

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Essayez d’obtenir des dimensions et des explications précises concernant votre lieu de représentation, si possible des photos et au mieux : obtenez un rendez-vous pour visiter la salle vous-même. Vous pourrez y tester l’acoustique et constater immédiatement les obstacles à vos idées de génie. Pas de panique : la contrainte engendre la créativité 🙂

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  1. Pensez aux choristes visuels

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Eh oui, même si la mémoire dite « photographique » est controversée, il est un fait certain que l’on active les neurones de façon différente quand on entend un mot et quand on le lit. De même, l’association de gestes liés au chant permet un troisième type de mémoire, plus kinesthésique.

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Variez les types d’apprentissages pour que tout le monde s’y retrouve. Écrivez les paroles des chants au tableau, surtout s’ils sont en langue étrangère ou s’ils sont longs et contiennent beaucoup de variations. N’hésitez pas à distribuer des photocopies remplies d’icônes et dessins pour que les chanteurs associent les mots, les phrases, à un certain ordre logique appris de diverses façons (même pour les adultes!). Cela ne vous empêche évidemment pas de proposer de nombreux jeux à retenir qui conviendront bien aux auditifs.

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  1. Last but not least : votre pupitre !

 

Il devient votre meilleur ami. Vous l’achetez une fois (ou votre chorale fait l’investissement) et il vous suit partout ! Choisissez-en un solide car il devra résister aux coups de vents si vous vous produisez en extérieur et aux nombreux déplacements que vous lui ferez subir.

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Bien sûr, si vous connaissez les partitions par cœur au moment du concert, c’est mieux mais ce n’est pas obligatoire. Il vaut mieux être 100% sûr de donner aux choristes toutes les informations visuelles dont ils ont besoin et personne ne vous en voudra d’avoir votre « aide-mémoire » en face de vous.

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J’assiste assez souvent à des répétitions sans pupitre. Moi-même, je l’oublie régulièrement. C’est très dommage car le pupitre libère vos deux bras et vous permet d’habituer les choristes à votre gestique du concert. Plus tôt ils se familiarisent avec elle, plus tôt les erreurs d’incompréhension seront effacées. C’est d’autant plus le cas si les choristes vous découvrent, si plusieurs chefs dirigent les mêmes chants (différents styles, parfois différents codes), ou encore si vous faites de nombreuses répétitions où vous êtes vous-mêmes assis au piano (donc vous ne dirigez pas au sens strict).

pupitreamazonAttention, je ne veux pas dire qu’il faut rester planté derrière son pupitre et ne pas interagir avec les choristes; là ça dépend de votre style, de celui de la chorale et de sa grandeur.

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Vous trouverez de bons pupitres dans votre magasin de musique de proximité. Si vous n’avez pas le temps d’y passer, vous pouvez même en commander sur le web.

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Et surtout…

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Et surtout prenez du plaisir à vivre le moment présent. Chaque répétition peut devenir un moment privilégié avec des choristes de toutes sortes, souvent d’une autre génération, qui vont vous en apprendre sur le métier autant que vous allez en apprendre par vous-mêmes.

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Soyez à l’écoute. Soyez attentifs. Soyez éveillés. Soyez vous-même. Que ce poste soit temporaire ou qu’il soit le début d’une longue aventure professionnelle pour vous, restez passionnés et tout ira bien.

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Allez, je vous laisse ! Il est temps que j’aille apprendre mes prochaines partitions, moi. 🙂 Je travaille sur Wicked en ce moment… et vous ?

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Sébastien
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Crédits photos :
choristes prenant du plaisir : U.S. Army (Tim Hipps)
marionnettes : FRE Lens
de dos : Doug Noon
vintage : Burns Library, Boston College
accompagnatrice : US Embassy
Vocal FX : Stewart Baird
escalier : U.S. Embassy Tel Aviv
sans pupitre : Historyworks

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Références dans cet article :
Dale Carneggie, « Comment se faire des amis » – L’acheter sur Amazon

Jocelyne Sarfati, « La voix de l’enfant » – L’acheter sur Amazon

Le pupitre Tiger MUS7-BK – L’acheter sur Amazon