Imprévu 1 : Comment gérer les élèves absents ?

Eh oui, car l’imprévu fait presque partie intégrante de la création de spectacles.4887741728_4752b6a968_z

Comment le gérer, dès lors ? Eh bien, la réponse est simple : il faut le prévoir.
Plus facile à dire qu’à faire ! Oui… je sais !

Dans mon dernier spectacle semi-professionnel, par exemple, une bêtise nous est arrivée dans le budget, géré sur tableau excel : une multiplication n’avait pas été faite correctement. Au lieu de trois jours de représentations, un seul était compté. Résultat : petite frayeur sur la balance financière… au final tout va bien, nous avons de la chance, mais ça aurait pu coûter cher!

Quand on crée un spectacle « scolaire », dans le cadre d’un enseignement en tout cas, on est face à d’autres soucis. C’est pourquoi je crée cet article sur les « imprévus », premier d’une série qui suivra sur le même sujet.

« Je ne serai pas là moi ! »

C’est la phrase qui vous glace le sang avant un spectacle. Vous avez tout préparé; chaque élève a un petit solo ou une chose importante à faire, un rôle à tenir… et vous devez assurer un « remplacement ».

La première chose à faire est préliminaire : éviter que cela n’arrive.

Il est vrai qu’on se passerait bien de ce genre de surprises. Dès le début d’année (en général, septembre), annoncez la couleur : « la classe présente un spectacle à Noël ». Donnez la date et, si possible, l’heure avant d’arriver au mois d’octobre. Si les élèves sont mineurs, écrivez un gentil mot d’explications aux parents pour qu’ils sachent à quoi sert ce spectacle (entre-t-il dans la pédagogie du cours? ; quel rôle joue son enfant sur scène? ; etc.). Joignez un coupon à faire signer, pour vous assurer que chaque parent a bien pris connaissance du papier (même si les élèves ont 17 ans!). Si les élèves sont majeurs, le mot est différent mais tout aussi important: il trouvera place aimanté au frigo ou ailleurs chez l’élève adulte.

Dans ce petit mot de septembre, évidemment, il n’est pas toujours aisé de dire exactement ce qui va se passer sur scène en décembre, ou en juin. Il est, par contre, indispensable que vous expliquiez l’importance d’un engagement. Dans beaucoup d’écoles non obligatoires (les académies de musique, les écoles de théâtre, les cours de sport, etc.), il est de plus en plus fréquent qu’un élève commence l’année mais ne la termine pas, c’est la génération de l’enfant roi. Je vous renvoie, à ce sujet, vers un article bien sympathique de Sylvie du blog Lycée Montessori. Si l’enfant est éduqué à la persévérance et à l’essai, il a déjà compris, via son éducation parentale, que « quand on commence quelque chose, on le finit ». C’est déjà un risque de moins de voir un élève quitter le cours pendant l’année, par exemple à deux semaines d’un show.

Dans le mot adressé aux adultes, il est important de leur faire comprendre qu’ils ont choisi d’être là, et qu’il est jouissif d’atteindre un objectif tel que « monter sur scène », « parler ou chanter en public », etc. Souvent, les gens (je m’inclus dedans) commencent une activité d’après-boulot pour s’épanouir, pour une bonne raison (apprendre l’anglais pour partir à l’étranger, faire du yoga pour se détendre, faire de la danse pour le plaisir, etc.). Puis, ils oublient cette raison, cet élan initial, et transforment le « je veux » (apprendre l’anglais) en « je dois aller au cours, on est mardi! ». Pour moi, les piqûres de rappel du choix qu’ils ont fait et de l‘objectif à atteindre font partie de la tâche de l’enseignant. Voici un petit article intéressant à ce sujet sur le blog de Christophe : https://speedevelopment.com/devoir-vouloir-vivre/

Une autre façon de perdre le moins d’élèves avant une représentation est de les impliquer au maximum dans la création. Ceci marche bien avec tous les âges mais particulièrement avec les ados et les jeunes adultes. Plus ils interviennent dans la conception du show, avec des éléments de décor, de chorégraphie, de texte, de fil rouge, de « management », etc., plus ils seront déçus de ne pas pouvoir y participer pour une raison x ou y. C’est le même principe qu’impliquer des jeunes de cités difficiles dans le choix du mobilier public pour que celui-ci subisse moins de dégradation (exemple à Montréal).

Dans un chœur, par exemple, il est compliqué de nos jours, de bien ancrer dans la tête des choristes qu’un seul absent remet en question beaucoup de choses. A-t-il un solo ? Il faut trouver un remplaçant ! Est-il meneur ?  Toute sa section en pâtira, ou du moins ses voisins de chorale ! Est-il suiveur ? On perd, certes, un seul instrument vocal, mais si le chœur est petit, cela peut se ressentir énormément !

Et enfin, après le mot de début d’année, pensez au « talon de participation ». Il a un avantage et un inconvénient : il vous permet d’éviter au maximum les surprises et de savoir quels élèves feront le déplacement avec leurs parents (plus ils sont petits, plus c’est nécessaire). D’un autre côté, il fait passer le message « vous n’êtes pas obligés de participer, j’aimerais savoir si vous venez ». Soyez donc bien attentif/ve à la manière de rédiger ce petit talon 😉

Tout en prévoyant ces mesures, prévoyez aussi des « doublures »

Les grands spectacles n’ont pas peur de demander à quelqu’un d’apprendre un rôle par cœur et de l’assumer en cas d’absence de la personne choisie au départ.

Dans le cadre pédagogique, c’est souvent difficile d’opérer de la sorte. Vous pouvez, néanmoins, si vous avez plusieurs représentations, choisir une personne pour chacune d’elles. Par exemple Martha le samedi et Isabelle le dimanche. Si Isabelle est soudainement déclarée malade, Martha se fera un plaisir de remettre son costume le lendemain.

Si votre spectacle vit une seule représentation fantastique, vous courez peu de risques. Si vous jouez 15 fois avec des enfants, soyez certains que vous aurez des absents. Préparez le show en conséquence 😉

La deuxième chose à faire : répondre aux absents et leurs excuses

Les raisons qui poussent quelqu’un à quitter le navire sont diverses. Celles que l’on vous donne à vous, enseignant, sont tout aussi variées mais pas forcément honnêtes. Tout le monde n’assume pas sa décision.

  • « J’ai un anniversaire, maman ne peut pas me conduire »  (pas de conscience des parents de l’importance du spectacle).
  • « Moi j’aime pas faire les spectacles » (l’enfant n’a pas compris ce que c’est ou n’est pas à sa place dans la classe).
  • « Je suis malade », un classique qui arrive en général quelques jours seulement avant la représentation.
  • « Il ne s’amuse plus aux répétitions, il va arrêter » (un parent qui n’a pas compris que l’élève peut, à la limite, arrêter de venir au cours ou aux répétitions, mais pas à la veille d’un concert).

Tout d’abord, gardez votre calme. Oui, vous avez investi énormément de temps et d’énergie dans la conception de ce spectacle, mais si la personne en face de vous ne l’a pas compris, vous avez un nouveau challenge : vous assurer qu’elle ait bien toutes les informations nécessaires. Si ce n’est pas le cas, vous pouvez encore la faire changer d’avis.

  • Importance pédagogique : apprentissage de la scène, gestion du stress, communication avec le public
  • Importance d’une cohérence entre le show et les répétitions : pour ses camarades, voisins, collègues,… sur scène
  • Importance de partir en laissant une bonne image, quand l’élève quitte simplement le cours
  • Importance de l’amusement de groupe différent de l’habitude : une classe vit une expérience privilégiée qui scindera d’autant plus le groupe. Ne pas participer à un spectacle, c’est comme rater des classes vertes. Tout le monde y perd, l’individu et le groupe.

Si la personne ou ses parents ne change pas d’avis, expliquez votre tristesse ou déception sans agressivité dans la voix, ni apitoiement. Le but est que l’élève comprenne qu’il va manquer mais pas qu’il pense qu’il est indispensable, auquel cas il aura le pouvoir sur vous pour les spectacles suivants.

La troisième chose : prendre une décision

Dans tout spectacle, il est important que tout ce qui se passe sur scène soit « testé », répété, et qu’il n’y ait pas de surprise. Un comédien a un texte à retenir : la complexité de la tâche lui rend un ajout ou une modification très pénible à assumer. Un texte changé entraîne des modifications de réflexes chez d’autres personnes, qui ne s’occupent pourtant du texte. Elles peuvent être d’autres comédiens, des régisseurs, des aidants en coulisse… Soyez conscients qu’un petit changement peut avoir de grandes répercussions.

  1. Si vous avez un élève doué, posez-lui d’abord la question de savoir s’il peut assumer un ajout de texte. S’il faut carrément remplacer un « rôle » entier, n’hésitez pas à faire appel à un ancien élève ou une connaissance de l’âge des acteurs. S’il s’agit d’une déclamation, comme le récit d’un narrateur, envisagez toujours, en plan B, de pouvoir le faire vous-même. Revoyez le texte ou enregistrez-le chez vous, calmement, en le lisant.
  2. Vous avez des changements à cause de l’ordre des gens sur scène ?
    Par exemple, dans telle chanson, la moitié des choristes s’abaissent sur un temps (et l’autre moitié s’abaisse sur le temps suivant, pendant que les premiers remontent) ? Il faut donc réorganiser TOUTE la chorégraphie ? Essayez de changer UN SEUL élément de la chorale de place, parfois cela suffit à ce que tous les autres gardent les gestes répétés en place. Dans le cas d’une chorégraphie de groupe, vous pouvez opérer le même genre de changements. Si l’on parle de danse de couple, à nouveau, envisagez de vous mouiller ou d’appeler une connaissance à la rescousse. De manière générale, évitez toutes les chorégraphies qui ne donnent bien que si tout le monde est là, surtout dans un spectacle de plusieurs dates.
  3. Pour certains ajouts de texte ou de parties chantées indispensables, vous pouvez, en tant que chef de chœur/d’orchestre, organiser un « plan mémoire ». Cela peut se faire de plusieurs façons. Soit vous créez des cartons avec des dessins ou des mots qui évoquent aux artistes les phrases à placer (attention, évitez cette solution s’il n’y a pas de scène, c’est-à-dire si vous êtes au même niveau que vos élèves ET que le public – cela peut vite donner un rendu très brouillon). Soit vous mettez au point une gestique digne du langage des signes pour diriger parfaitement la troupe avec vos lèvres et vos mains. Par exemple, quand vous mimez un cœur de vos mains, ils chantent « c’est l’amour ». Si votre classe est faite de bambins, rappelez-vous que les parents sont souvent derrière eux pour leur faire retenir leurs lignes : n’attendez pas pour leur distribuer une feuille avec les changements.
  4. N’oubliez pas la conduite, une feuille rappelant l’ordre des interventions sur scène. Dès qu’un artiste est en coulisse et peut éviter le stress de la mémoire en consultant une belle conduite claire et mise à jour, punaisée ou scotchée à peu près partout où vous pouvez, vous évitez les tensions supplémentaires. Une troupe d’adolescents peut aussi être tenue au courant s’ils sont reliés à un groupe facebook, par exemple. Un élève peut aussi très bien se charger de créer et d’imprimer les conduites, si vous n’avez pas le temps.
  5. Assumez vos choix.
    N’ayez pas peur de dire « on a vraiment essayé, mais cette absence nous met dans un stress difficilement gérable. Nous retirons ce morceau. » Le tout est d’essayer, la vie continue 😉
    N’ayez pas peur de dire, pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus, en fonction de l’importance de votre spectacle : « l’absence aux répétitions générales entraîne obligatoirement la non-participation au spectacle ». Beaucoup de décisions sont prises en générale, ne serait-ce que les déplacements et l’adaptation aux conditions d’une salle. Dans certains cas, vous ne pouvez pas mettre un groupe en danger à cause d’un ou deux absents. Ce genre de décision est variablement accepté des parents, par contre. Pour assumer ce choix, je vous conseille de bien évoquer le cas dans les conditions de l’inscription, en septembre.

 Quoiqu’il en soit, je vous souhaite de tout cœur de ne pas rencontrer ce cas de figure cette année… Si vous êtes enseignant ou éducateur, cela viendra un jour ou l’autre. Soyez prêts ! 🙂

Bonne préparation et bon spectacle, toujours en sourire !

Sébastien

* crédit photo : Jen Collins https://www.flickr.com/photos/jenosaur/