2020 ! Vive 2020 !

On ne sait plus très bien pourquoi il faut en parler.

J’veux dire… tout le monde l’a vécu, non ?

-Mais pour vous, dans la culture, ça doit être vraiment terrible !

-Oh, il y a pire. Je pourrais être infirmier…

Mais les infirmiers travaillent, eux.

Je ne sais pas ce qui est le pire, honnêtement. Prendre des risques pour soi et ses proches pendant des semaines et des mois, dormir peu ou mal, ne pas pouvoir prendre de vacances, subir la mort inéluctables de nombreux patients, … ou ne pas pouvoir travailler.

J’avoue, rien que d’énumérer quelques caractéristiques des boulots du secteur de la santé, j’en ai la chair de poule de vouloir comparer.

Bien sûr, c’est impossible. Bien sûr il n’y a pas de “mieux” ou “moins bon”. Mais philosophiquement parlant, j’ose quand même poser la question : les médecins travaillent, c’est-à-dire qu’en ce moment ils n’ont jamais été autant utiles ! Ils doivent se sentir utiles. Même quand ils crachent sur le système de santé qu’ils disent pourri, ils doivent se sentir hautement valable !

Pendant que les artistes… quoi ?

Inutilité ?

Oui, j’irai jusqu’à dire qu’on se sent inutile. Je ne peux pas parler pour tous les artistes bien sûr (d’ailleurs, c’est quoi un artiste?) mais on ne peut pas dire qu’on se sente beaucoup vivre ces mois-ci, dans le spectacle vivant. On n’aide personne à survivre non plus, sauf éventuellement par enregistrements interposés.

On a entendu et vu des directeurs de théâtres, des chanteurs célèbres, des metteurs en scène se plaindre, signer des pétitions, défiler dans la rue… Les salles restent pourtant fermées… ICI ! Car oui, il ne faut pas aller bien loin pour trouver des théâtres ouverts. Madrid, par exemple. Ou la Corée du Sud où le gouvernement semble réellement croire qu’en période de crise, la culture et le divertissement sont une soupape nécessaire pour limiter les dégâts collatéraux.

Dégâts psychologiques, mentaux… On en connaît tous maintenant des gens qui sont forcés de télé-travailler et qui n’en peuvent plus des visioconférences, des “on coupe son micro”, des “on va relancer la réunion avec le même lien” et des “merci d’allumer vos caméras pour un peu d’interactivité s’il-vous-plaît”. J’en passe…

Mais ces mêmes gens, dans notre Europe de l’Ouest, ils ont Netflix, non ? Ils ont Spotify ? Internet. Des musées en ligne. Youtube. Disney +. Amazon Prime. Des cds, vyniles, mp3, lecteurs dvd, vhs (? perso j’en ai gardé quelques-unes, par goût de la nostalgie…). Ces gens (vous, moi) ont tout à fait ACCES à la culture !

De quoi se plaint-on, vraiment ? Ils retourneront dans les salles plus tard !

Et les artistes de leur côté, ils ont droit au chômage, non ? Ou au statut d’artiste ? Oui…en fait c’est un peu la même chose chez nous. Bref, s’ils ne bossent pas, ils ne sont pas pour autant à la rue, si ? Ils ne vont pas se plaindre, ils font déjà ce qu’ils veulent de leur vie.

De quoi se plaint-on ?

Bon, donc vous aurez compris que ce qui suit doit être pris comme une réflexion “hors comparaison”. Les raisons sociaux (vous aussi, vous avez fait une overdose en 2020?) débordent de réactions à vif, de réponses à chaud, de manque de prise de recul, etc. On ne sait plus ce qu’on peut ou ne pas dire… ou en tout cas on sait à l’avance ce qui va susciter la polémique. C’est peut-être pour ça que j’enrobe autant cet article de miel. Un peu nauséabond, je vous l’accorde.

Une bonne dizaine de contrats ont été annulés pour moi, en 2020. Même en 2021, les premiers six mois sont devenus morne plaine et c’est avec une certaine tristesse que demain, 31 décembre, je vais tirer mon bilan annuel, tradition du moment des fêtes (moment de passer aux résolutions, aux prises de décisions, aux définitions d’objectifs…).

Des contrats annulés, c’est une chose. Mais “son contrat” annulé, c’en est une autre. Vous savez ? Il y a des projets dans lesquels vous prenez beaucoup de plaisir en tant qu’interprète, d’autres dans lesquels vous vous sentez extrêmement utile, d’autres où vous rencontrez des gens géniaux, et quand vous avez de la chance, vous avez tout ça à la fois… et puis il y a vos projets chouchous. 

Ceux que vous créez. 
Sur lesquels vous passez du temps. 
Pour lesquels vous dépensez vous-même beaucoup de l’argent en pensant “c’est un investissement”.
Vous y croyez.
Vous avez travaillé beaucoup artistiquement, mais encore davantage “administrativement”, c’est-à-dire à la promotion, à la diffusion, à la production,… tout ce qui fait, dans un premier temps que votre spectacle voit le jour : votre énergie… c’est ça que je veux dire par “son” propre contrat. C’est un peu le contrat de vie, en somme, la raison pour laquelle on fait ce métier. Sans cette énergie qui en découle, pas de lever de rideaux !

On veut “monter un spectacle” ! Sans cette immense volonté, on n’y arrive pas, sauf peut-être d’être très bien entouré… et encore…

Et puis un virus passe par-là.

Vous n’avez pas le droit de vous plaindre (cf. toutes les raisons déjà évoquées).
Vous avez cru au projet, engendré de nouveaux frais…tout ça pour rien.
Vous avez enquêté pour trouver des doublures (des comédiens bons et sympas, qui savent chanter et reprendre un rôle dans la simplicité et l’efficacité; ce n’est pas si facile de réunir tous ces adjectifs finalement) et vous leur avez vendu du rêve.
Après tout, vous y croyez ! 

Jusqu’à ce que vous n’y croyiez plus.

Et heureusement (ça me tue d’écrire ça), vous prenez vous-même la décision d’annuler… pour ne pas vous enfoncer plus que vous ne l’étiez déjà.

Quand c’est vous qui devez annuler… 🙁

Les salles de spectacle ouvrent, ferment, rouvrent, referment… rouvr… eh non ! Annuler à l’avance était donc la bonne chose. Si vous ne venez pas à annuler, l’annulation viendra à vous.

Je me pose sur une chaise et je scroll, je fais défiler le feed d’Insta.

En gros, je parcours la vie des autres. Enfin la vie…

Bref, une bonne idée pour se remonter le moral.

Et je déprime (Duh!) de voir les shows ouverts dans d’autres pays, tout en me disant “au moins, la culture vivante n’est pas morte”. Pas partout.

« Tu écris alors, pendant cette période creuse ? » me demande-t-on.

En partie. A peine. Je fais des recherches, surtout. Je veux que l’on croie à mes projets autant que moi j’y crois. Je suis à l’affût. Je fais une demande de bourse. De l’argent accordé aux particuliers ou aux entreprises qui mettront en avant le savoir-faire local, nos compétences régionales, notre patrimoine, notre force en tant que territoire culturel et créatif… Un dossier. Des photos. Un budget. Des espoirs…

Quelques jours passent.

Bourse non accordée.

C’est la vie.

« Il y a pire. »

Vive 2020 quoi.

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