Salut cher auteur, compositeur, créateur de spectacle. (trice, trice, trice; ça marche aussi). Je te propose ici, le plus simplement du monde, une traduction d’un article que j’ai trouvé extrêmement intéressant sur l’écriture de chanson pour le théâtre musical, la comédie musicale.

Je ne suis pas d’accord, ou du moins je ne fonctionne pas entièrement comme Jason Robert Brown, mais chacun est différent et d’ailleurs, n’hésitez pas à me dire en commentaire si vous fonctionnez aussi différemment.

Avant de me lancer, je vais d’abord rappeler qui est Jason Robert Brown. Vous pouvez passer ce petit rappel si vous êtes une féru de comédie musicale anglo-saxonne et que vous êtes une connaisseuse aguerrie.

JRB, si je dois résumer en trois titres, les plus susceptibles d’être connus en dehors du microcosme du Musical Theatre, c’est

  • The Last 5 Years (vous avez peut-être vu le film, avec Anna Kendrick et Jeremy Jordan, qu’ils sont beaux !)
  • Parade (pas de film musical à ma connaissance mais quelle histoire poignante!)
  • The Bridge of Madison County (oh oui! Vous avez bien reconnu le titre français « sur la route de Madison »! Sauf qu’ici, on ne parle plus de l’adaptation du roman en film (1995) mais en musical (2013). J’ai pas envie de faire un article très long mais je ne peux pas continuer sans vous partager cette chanson de malade que j’adoooore !!! _ et en plus à nouveau, qu’ils sont beaux et BONS ces Pasquale et O’Hara !!! _)

C’est parti, parlons traduction

Ne vous étonnez pas, c’est une transcription de masterclass donc c’est très « langage parlé ».

Les notes suivantes sont des extraits provenant de la video youtube d’une heure et demie Jason Robert Brown Songwriting Masterclass, publiée le 22 février 2013 par la Dramatists Guild of America.

“Jason Robert Brown (né le 20 juin 1970) est un compositeur, parolier, et dramaturge de théâtre musical. La sensibilité de sa musique mixe le style pop-rock avec des paroles de théâtre musical. Pianiste accompli, Brown a souvent été directeur musical, chef d’orchestre, orchestrateur et pianiste pour ses propres productions. (Wikipedia) Ses comédies musicales les plus connues sont notamment ‘Songs for a New World’, ‘Parade’, ‘The Last Five Years’, and ‘The Bridges of Madison County’.

Titres – 3:20-4:07

“La meilleure chose que vous pouvez offrir à un compositeur, c’est un titre. Le mieux que vous puissiez dire c’est « la chanson s’appelle comme ça ». A la minute où je connais le titre de la chanson, même si au final je ne l’appellerai pas comme ça, à la minute où je sais comment synthétiser la chanson, en quelques mots, je peux commencer mon travail.

Je dois mettre un titre au moment. Je dois lui donner une direction. Je dois dire « il s’agit de ceci ». Et j’essaie d’en faire un titre qui sonne comme un titre (rires). Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais on le sait en quelque sorte. Tu sais quand un titre sonne et que tu veux le chanter. Et tu sais quand un titre est pourri et que tu ne veux pas. Et je crois que tu dois vouloir jouer avec ça.

But de la chanson – 4:58-7:04

“Bien sûr, quand je dis « titre », ce que j’entends c’est une compréhension de ce qu’est le moment théâtral. Ce qu’est ce moment théâtral. Comment je condense ça. Et la raison pour laquelle ça donne des chanson, c’est parce qu’une chanson parle d’une chose. Une chanson est vraiment une seule idée. Et c’est important de croire qu’une chanson est une simple idée. Une chanson c’est un moment pour un personnage. Il y avait… il y a dû y avoir une idée déformée selon laquelle une chanson doit faire avancer l’action. Mais non. Les chansons font avancer l’histoire parce que les chansons font avancer les personnages. Et c’est la chose la plus importante qui peut se passer…c’est qu’à la fin de la chanson, un personnage a commencé quelque part et finit, que ce soit émotionnellement ou spirituellement, ou par les vicissitudes du scénario, à un autre endroit.
Alors la chanson a accompli quelque chose. C’est ce que les chansons peuvent faire. Vous allez être assis dedans pendant 3, 4 minutes (ou dans mon cas 27 minutes!) – vous allez être assis là un long moment. Pourquoi avez-vous arrêté le spectacle pour permettre à cette personne de chanter ? Et la réponse est « parce que quelque chose va changer ». On va comprendre quelque chose. Le public peut comprendre quelque chose qu’ils ne comprenaient pas avant.
Quelque chose, ce moment devait être cristallisé pendant ces 3 ou 4 ou 27 minutes. Cela devait se produire là. Et je pense, sachant que vous faites avancer une intrigue, une intrigue, une intrigue – cette intrigue alors doit doit s’ouvrir pour laisser la chanson exister. L’action s’arrête bel et bien. Aucun doute là-dessus. Vous ne pouvez pas avoir la musique qui joue et l’action qui continue d’avancer à travers elle. Je veux dire… je l’ai fait quelques fois, mais ce n’est pas la raison qui a fait commencer à écrire la chanson. Nous n’avons pas écrit des chansons pour écrire de l’action. Ce n’est pas le but. Nous écrivons des chansons pour explorer quelque chose là-dedans (montre sa poitrine). Et en croyant bien que tout va s’arrêter pour qu’on puisse entrer dans la tête de quelqu’un, pour qu’on puisse regarder quelque chose qui doit se passer, c’est très précieux. »

Le but de la chanson induit sa structure – 21:24

“Ce que je demande toujours, la question principale c’est : »qu’est-ce qu’un personnage veut d’un autre personnage? Pourquoi la chanson survient? ». Et comprendre la réponse oriente la structure de la chanson. La structure c’est toute notre affaire. La structure c’est tout le jeu. C’est tout ce que nous avons, en vérité, en tant que compositeurs. Je veux dire, tout le monde a les notes, et tout ce que nous pouvons faire c’est arranger ces notes dans une certaine structure et la comprendre.

Structure de la chanson – 41:45-44:21

“Quand un acteur chante un soliloque, je mets un autre acteur, un autre personnage devant lui. Demande quelque chose de lui. Et quand vous arrivez à la fin de ce premier morceau de structure, vous vérifiez, et voyez si vous avez obtenu ce que vous vouliez. Et c’est comme ça qu’on construit une chanson. C’est le principe de base de comment une chanson est faite. « Je veux quelque chose. Et je vais essayer de l’obtenir de telle façon ». Et ça c’est mon premier couplet et refrain. Et à la fin de ce premier couplet et refrain, la réponse doit être « non ». Si la réponse est « oui », la chanson est finie… Alors… le premier couplet et refrain c’est « je veux cette chose de toi ». Et vous dites « non ». Donc maintenant on va au deuxième couplet et refrain, qui dit « ok, j’essaie autrement. Je veux cette chose de toi (pause) ». Ça ne marche pas; cela ne peut pas marcher {pour pouvoir créer une chanson}.
Donc maintenant on va à ce qu’on appelle la section B… Toutes les chansons ne sont pas des « AABA » mais réfléchissons en ces termes pour l’instant, après tout pourquoi pas ? On arrive à cette section B, et celle-ci va dire « Ok, je vais recontextualiser tout ça. Je vais aller plus loin ». Ou « Je vais expliquer quelque chose que je n’ai pas osé dire les deux premières fois ».
La section B est musicalement là pour une très bonne raison. Quiconque est compositeur le sait : « Je ne peux pas dire la même chose trois fois ». Et c’est logique ! Comme avec des mots, nous ne pouvons pas dire non plus les choses trois fois. Parce qu’on a l’air d’un idiot la troisième fois. On peut le dire une fois. « Quoi? » -« Non, ce que j’ai dit c’est ça. » « -Quoi? » « Ok, je vais le dire autrement ». Et c’est ça la section B.
On va contextualiser. Et la transition entre la partie B vers le A final, c’est la partie la plus importante de la chanson. C’est le lien sur lequel repose toute la chanson. Parce que c’est là que le personnage s’ouvre, d’une certaine façon – qu’il grandisse ou apprenne quelque chose, ils avancent à un certain moment de l’intrigue, quelque chose comme ça. Mais c’est juste là. Vous pouvez différer ce moment pour un temps assez long. Mais si vous ne le transmettez pas, alors la chanson n’a pas lieu. J’attends le moment où la chanson s’ouvre. Et ça me mène à ce dernier beau refrain où je dis « Maintenant pour la dernière fois, s’il te plaît, est-ce que je peux avoir ce que je veux? ». Que la réponse soit « oui » ou « non » dépend vraiment de la pièce et des exigences du personnage en face de vous. Mais c’est important que jusque-là, la réponse ait été « non ». Et c’est notre architecture de base.

La musique doit-elle être fredonnable ? 1:16:40-1:17:45

« Siffler (fredonner) {être capable de fredonner un air d’un spectacle} ne rend le spectacle bon. Ce qui importe {dans un show} c’est comment le récit et la musique racontent tout ensemble. Je me mets sur la défensive à propos de ce « je ne peux pas siffler l’air »; c’est pas parce que vous êtes un mauvais musicien (ndlr : « shitty musician » : « musicien de merde! » textuellement – il n’y va pas de main morte ^^) que je dois écrire mes chansons différemment. Mais je conçois que la structure du morceau musical va aller de soi si elle est bien faite. Il doit y avoir assez de répétitions dans la structure d’une chanson pour qu’un public puisse s’y raccrocher. Ça manque dans la plupart des spectacles, mais ça ne va pas s’arranger car la plupart des spectacles sont mauvais.

Travailler avec un auteur – un librettiste – 1:23:55-1:26:11

« Ce que le librettiste doit savoir c’est que je vais regarder le livret, et c’est quelque chose que je vais maintenant arracher, mettre en pièce et démarrer à la page une. Rien de ce que tu as écrit n’a plus d’importance. Tu me l’as montré pour m’inclure dans le projet. Il se peut que j’aie répondu. Et maintenant nous écrivons ce show ensemble. Et nous écrivons chaque ligne ensemble, et chaque note. Clairement, je vais gérer la musique, et je vais gérer les paroles, et tu vas gérer les dialogues. Mais tout ce qui fait que ce show avance doit passer par nous deux. Parce que lui donner un dynamisme musical, une énergie musicale doit venir de moi. Seul moi sais quand je ressens qu’un personnage devrait chanter. C’est mon truc. Je travaille sur une scène et je dis « Attends – il y a une chanson ». Et un autre compositeur va trouver ça à un endroit différent. Et l’expression de chaque compositeur ressort parce qu’ils réagissent musicalement à un certain moment. Soudain la musique apparaît. C’est vrai. Je lis quelque chose et tout à coup, j’entends quelque chose. Et… quand ça se produit, c’est là que je veux y aller. Et à la minute où j’ai mis quelque chose en musique, j’ai changé les molécules si considérablement que tout ce qui suit va en être affecté.
Et donc c’est terriblement bon d’avoir un schma, de savoir ce que vous voulez accomplir. Plus je sens qu’on me dit « non, la chanson est ici. Ecrivez juste six chansons et c’est bon » alors tu n’as pas besoin de moi.
Il y a des tas de gens qui savent écrire des chansons. C’est ce que je veux en tant que compositeur si quelqu’un vient vers moi avec un livret, c’est qu’il sache et qu’il se dise « c’est quelque chose que j’ai écrit pour que l’on puisse le triturer et trouver la musique qu’il y a là-dedans ». Et honnêtement je préfère travailler avec moins. Je préfère avoir deux pages de schéma qu’avoir 45 pages de traitement. Je préfère {qu’un auteur me dise} « c’est la pièce que je veux écrire – et je n’arrive même pas à me lancer tant que je ne connais pas la musique. J’ai besoin de la musique pour avoir une certaine énergie et savoir où ça va ». C’est ma préférence. Tous les créateurs ne sont pas pareils. « 

Pas mal, non ?

Ca vous donne de l’inspiration ?
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