Les jeunes apprennent LES métiers du spectacle !

Rencontre avec Colette Régibeau

 

L’atelier théâtral Saint-Remacle est unique en son genre et a beaucoup de choses à nous apprendre. Il a un objectif double. Voici ce qu’on peut lire sur son site internet :

Le premier (objectif) est de monter des textes représentatifs de notre époque, des « grandes voix » du théâtre et en faciliter l’accès aux publics susmentionnés (animations, décentralisation vers des salles régionales…).
Le second consiste en l’initiation des adolescents (17-18 ans) aux métiers du théâtre et à la genèse d’un spectacle, par le biais d’ateliers « Arts du spectacle » (jeu du comédien, scénographie, maquillage, son, éclairage, promotion et communication), animés par des professionnels du spectacle. Dans ce cadre, l’ATSR monte chaque année un spectacle avec des adolescents, ouvert au public le plus large. Cet aspect du travail répond à sa mission pédagogique.

 

L’association monte donc aussi bien des spectacles professionnels que des spectacles en partenariat win-win, comme dit la metteuse en scène, avec l’école Saint-Remacle. La structure s’insère dans la vie de l’école et gère tout de A à Z.

Au printemps 2017, j’ai pu assister au résultat du travail pédagogique de cette édition, avec la pièce Au Pays Des, de Sylvain Levey. J’ai été impressionné.

Une pièce vraiment pas facile, avec beaucoup de texte, un humour grinçant… Une critique de la société entrepreneuriale et d’un certain type de divertissement. Un parc d’attraction vu de l’intérieur par des employés qui doivent gérer le suicide de l’un des leurs… Bref, une pépite en son genre que les comédiens adolescents ont défendu avec une précision folle.

Nous rencontrons aujourd’hui Colette Régibeau, qui gère l’association et met en scène les élèves.

.
Comment ça marche alors, cette association avec l’école ?

L’asbl (NDLR: association sans but lucratif) prend tout en charge. L’école ne s’occupe de rien, même pas du bar. Elle met à disposition l’infrastructure : et encore, les locaux de répét. et la salle ne sont pas équipées. On a un entrepôt pour laisser le matériel utilisé pendant les répétitions. C’est aussi son assurance qui prend en charge les élèves qui s’engagent. Tout le reste est assuré par l’asbl.

C’est donc un spectacle dans l’école, avec les élèves de l’école, mais entièrement géré par une asbl.

Au niveau de la compta, c’est nous qui prenons en charge recettes et dépenses. L’école n’a rien à faire non plus… mais ils ont un spectacle clé sur porte et les élèves qui s’engagent (une cinquantaine) suivent une formation donnée par des pros.

.
Est-ce que les étudiants ont un autre spectacle dans l’année ou c’est LEUR spectacle annuel ?

Pas d’autre spectacle, je pense, mais celui-ci n’a rien à voir avec un spectacle « scolaire ».

.
Comment se passe le processus ?

L’asbl fonctionne avec un versant pro, des spectacles professionnels, et un versant ado. La mission c’est d’initier des adolescents aux métiers du théâtre. Adolescents, ça veut dire 16-18 ans, sinon plus jeune c’est simplement un autre métier.

Sur l’année, ils ont différents ateliers dans lesquels ils peuvent s’engager.

L’atelier technique-son-éclairage, l’atelier maquillage, l’atelier scénographie, l’atelier promotion-communication et l’atelier comédiens. Inutile de dire que l’engagement n’est pas le même. L’objectif, par exemple en maquillage, c’est de les former pour que chacune prenne en charge 1, 2 ou 3 personnages entièrement.

Elles ont d’abord des cours de technique de base. Puis il faut créer le personnage. On ne crée pas de n’importe où, on travaille avec la ligne de mise en scène.

.
Tu les orientes ?

Je travaille avec la maquilleuse qui travaille avec les ados. Elles _ je dis elles car ce sont souvent des filles en maquillage_ sont alors capables de maquiller, sous l’œil de la professionnelle.

En travaillant avec Gabriel (NDLR : technique son), l’objectif est qu’ils soient aux manettes de la régie sans fausse note.

Le plus gros poste, ce sont les comédiens puisqu’il faut tout apprendre ! On travaille tous les vendredis pendant 5h après leur cours, de 16h30 à 21h30.

On fait de l’atelier ; on travaille la voix, le corps, le mouvement.

.
On commence par les bases ? Les élèves peuvent avoir participé l’année précédente ?

Oui les bases sinon on ne sait rien faire. Peu importe si les élèves se sont déjà engagés avec nous. On ne travaille pas systématiquement chaque année à l’école non plus.

Donc pour tous les ateliers, ils s’inscrivent et ils s’engagent. Pour les comédiens, il y a une audition en plus à passer. L’année dernière, j’ai monté une comédie musicale : l’audition concerne aussi le maître de chant donc. Il ne faut pas être Céline Dion mais bon…

.
C’était quoi cette pièce musicale ?

Vive la libre entreprise, de Guy Foissy. Il y a les chansons mais sans partition. C’est notre chef de chant qui crée les musiques, qui répète avec les jeunes et qui les accompagne au piano en live.

En 2013 je crois, j’avais monté une pièce qui s’intitulait Les Jeunes et qui mettait en scène deux petits orchestres de jeunes. Un orchestre de filles plutôt punk et un orchestre de garçons plutôt rock. Du côté des filles, la batteuse n’avait jamais touché une batterie !

.
Ah bon ? (rires) Quel challenge !

Oui, donc pour dire que leur engagement, c’est un gros engagement. C’est impossible de monter un spectacle comme ça en quatre semaines. Dans la plupart des spectacles scolaires, ça ne répète pas assez. Maintenant il faut savoir ce qu’on veut.

En plus des vendredis, on travaille pendant le congé de Toussaint, de Noël, de Carnaval et une semaine entière pendant le congé de Pâques.

.
Alors ça commence et finit quand ce projet ?

Ça commence vers octobre, après l’audition et ça se termine vers avril-mai. Un gros 6 mois.

.
Un paquet d’heures de travail ! Comment tu organises l’audition ?

 Je leur donne un texte à préparer. Cette année c’était une petite pièce à 4 personnages, Les Autres de Jean-Claude Grumberg. Je ne donne aucune indication, c’est intéressant de voir comment ils vont s’auto-gérer, s’auto-distribuer, etc.

Cette année j’en avais une bonne trentaine qui se présentaient. J’avais décidé d’en retenir 12 ou 13.

.
Pour la pièce de l’année ?

Oui, je peux diviser des rôles. Il y a 4 personnages de base qu’on ne peut pas changer. Dans les autres personnages, on peut modifier des choses.

Ça permet de pouvoir donner une chance à tout le monde.

.
Tu choisis à chaque fois une pièce qui te permet d’être flexible au niveau des rôles ?

Non, ça dépend. Il faut lire des tonnes de pièces pour trouver ce qu’il faut, quelque chose qui soit jouable par les ados.

.
Qu’est-ce qui n’est pas jouable par les ados ?

Pour moi, les problèmes de couples d’une quarantaine d’années. Autrement il y a beaucoup de choses jouables par les ados, contrairement aux idées reçues. Je monte tous les auteurs qui m’intéressent. L’année dernière, la comédie musicale, c’étaient 4 vieilles tantes.

.
Ça veut dire que les ados peuvent jouer des personnes plus vieilles !

 Oui alors tu travailles la composition.

.
Et ceux qui ne passent pas l’audition ?

Ils sont prévenus. Je me dis que c’est la vie. Je ne dis jamais à l’avance quelle pièce j’ai choisie, combien de comédiens il me faut. Je n’ai pas envie qu’ils commencent à calculer.

Je leur donne donc le texte puis je leur donne des impros par groupe, impros que j’oriente en ayant en tête la pièce que j’ai choisie. Je les change de groupe et fais essayer des choses pour voir comment ils interagissent car en général, ils ne se connaissent pas. Ils ne sont pas nécessairement dans les mêmes classes.

.
A la fin, ils se connaissent bien, je pense !

 Ah oui, c’est sûr. On vient de faire le souper avec toute l’équipe. On était 40.

L’important c’est donc d’avoir l’équipe. Outre les ados, il faut l’équipe artistique. J’ai besoin d’assistants. Je ne peux pas travailler seule, ce n’est pas possible.

.
Assistant metteur en scène ?

Oui aussi. Je choisis toujours un assistant qui ait des connaissances théâtrales, quelles qu’elles soient, et des connaissances pédagogiques.

Cette année, j’avais deux assistants puisqu’ils étaient 13 sur scène.

Et bien sûr…un ingé son, un éclairagiste, une personne scéno-costume, une maquilleuse et des gens qui s’occupent de la prom/com.

.
Tu les engages en connaissant ton budget à l’avance ou tu proposes un pourcentage ?

 Toujours le même problème, le fric.

En prom/com, ce sont des bénévoles de l’A.G. de l’asbl. Certaines personnes sont payés en RPI (*). La Province de Liège nous aide en payant, cette année, l’assistante, l’éclairagiste et le vidéaste.

L’équipe de prom. cherche aussi des sponsors dans les entreprises privées.

* RPI = régime des petites indemnités, en Belgique, défraiement permettant de valoriser des « petites prestations » artistiques. Il a la particularité de ne pas devoir être déclaré fiscalement.

.
Ça marche vraiment, ça, les sponsors des entreprises ?
 

Chez nous oui car on est un peu connu.

Puis alors, quelques aides en nature viennent de centres culturels et autres…

.
Pour la prom/com justement, c’est aussi un pro qui gère les étudiants ou les bénévoles ?

Non, deux personnes de l’A.G. Elles ont l’habitude. Elles sont profs. Je chapeaute le tout mais elles prennent l’habitude d’année en année. J’écris les textes et elles diffusent.

Cette année, on a tourné un teaser. J’ai trouvé une ancienne de l’atelier qui a commencé l’I.A.D. (NDLR : institut des arts de diffusion, une école supérieure belge). Je fais le scénario et elle se débrouille à partir de là. On se débrouille de bric et de broc.

cliquez sur l’image pour voir le teaser

.

Résultat impressionnant ! Ces étudiants non comédiens… la façon dont ils jouent !

Ce qui me saoule aussi dans les spectacles d’école, c’est que beaucoup de gens s’improvisent metteur en scène. Moi c’est mon métier. Jamais de pause. Les stages, etc. On apprend tout le temps !

Quand je fais un spectacle, je rentre en religion (rires). Il faut trouver le texte en amont, organiser tout le truc. Puis en aval, c’est pas fini !

.
Alors parlons de l’aval. Comment vous organisez le bar ?

 J’ai une bonne amie qui est préfète au collège et elle gère le bar. Nous, on l’installe mais c’est elle qui s’occupe de trouver les élèves. Nous prenons les recettes. Ce sont des bénévoles qui travaillent. À la vente des programmes, des bénévoles aussi. À l’installation des chaises, moi et les bénévoles.

Après, on range, le dimanche soir.

.
Le plus drôle !

 Je suis hyper organisée, sinon on se retrouve à trois. Chaque équipe sait que s’ils ont fini avant, ils viennent aider les autres. Il faut retirer la scène. Il y a cours le lundi matin !

.
La scène est montée par vous ?

 On travaille avec une entreprise de location de matériel appelée 3E située à Trois Ponts. Cliquez ici pour accéder à leur site web.

Pour environ 2000, 2300 euros, ils mettent à disposition un technicien pour monter la boîte noire, l’éclairage, le son, … et cette année un décor en LED.

Ce sont eux qui montent et démontent mais on les aide pour démonter parce que c’est la folie.

On monte pendant les vacances de Pâques, la première semaine. Les comédiens arrivent ensuite et répètent une semaine sur place. L’éclairagiste était envoyé par la Province. Hyper pro.

.
Il fait aussi partie de l’équipe qui coache les étudiants ?

Non, lui il crée les éclairages ; il pointe ; il fait la régie la dernière semaine, mais pas celle du spectacle. C’est Gabriel qui coache les élèves pour que le son, la lumière et la vidéo soient gérés par les jeunes pendant le show. Trois régies.

La scéno-costume, c’est une pro aussi, une fée de la récup !

Tous les costumes de la « parade », je les ai eus en sponsoring par un magasin de déguisements de la région. Il a fallu négocier. Attention qu’il faut calculer : si par exemple, il faut les nettoyer, il faut se demander si ça ne va pas revenir plus cher que de les acheter. Ici, il ne fallait pas les nettoyer donc on s’en est sorti.

On a juste acheté la robe de Blanche-Neige puisqu’on devait la recouvrir de sang.

« On a juste acheté la robe de Blanche-Neige puisqu’on devait la recouvrir de sang ».

.

Cet atelier en est à sa quantième édition ?

L’atelier existe depuis plus de vingt ans…

.
C’est rôdé quoi.

On commence à savoir où aller chercher l’argent, où faire la pub. Bon, ça change quand même tout le temps. On va sur Impact, sur Contact, sur Liège Matin, sur Télé Vesdre.

.
Tu délègues ou tu y vas toi ?

Sur Impact, par exemple, c’est un deal de 600 euros : ils font des spots et on a une interview. Sur Contact, on s’arrange avec un journaliste. On fait une conférence de presse. Les contacts sont pris par nous, pros, mais les ados sont chargés de renvoyer des mails, etc. On est dans Vlan, La Meuse, L’Avenir,… et Facebook !

Il faut quand même qu’on remplisse trois fois pour rentrer dans nos frais. On en a bien pour 12000€, sans compter les salaires pris en charge par la province.

.
Avec une jauge de combien ?

Elle varie en fonction de la scéno : en gros, 200.

.
Et tu calcules le prix de la place en fonction du montant dont tu as besoin pour entrer dans tes frais ?

On doit aussi tenir compte de la SACD (organisme de défense des droits d’auteur). On paie 800 euros pour un petit spectacle de rien du tout… Ils veulent savoir le prix de la place.

.
Tu n’as jamais fait de créations collectives au lieu de prendre un texte qui coûte des droits ?

Je trouve qu’il y a des auteurs super. Je l’ai fait une fois, avec deux ados et un auteur. On a travaillé à partir d’impros, etc. C’était chouette mais je trouve que c’est moins convainquant. Il y a beaucoup de créations collectives, mêmes pros, et je ne vois pas toujours l’intérêt.

.

Comment tu arrives à un tel résultat, à une telle précision et une telle sincérité avec des élèves ?

 Je suis hyper exigeante. C’est une question d’équipe aussi.

Certains ados ont fait de l’académie, mais parfois c’est pire. On leur a parfois fait faire du mauvais théâtre. Ou on les a cantonné dans des rôles faciles, dans lesquels ils sont à l’aise. Il faut alors déconstruire certaines choses.

.
Es-tu considérée comme « dure » en répétition ? Tu en perds parfois en cours de route ?

C’est très très rare. Cette année, une comédienne a abandonné car elle s’est rendue compte qu’elle n’arriverait jamais au résultat, mais c’est rare.

C’est tout l’art de savoir comment tu y vas. C’est du feeling. Comment tu les prends chacun. Beaucoup d’exercices de groupe au début. Comment tu les appâtes. Et il y a le graal !

Je ne dis pas qu’il n’y a pas de moments de découragement, ça reste « humain ».

.
Oui car ils n’ont quand même pas l’habitude, à cet âge-là, de ce type de long processus de répétitions !

Mes répétitions sont hyper structurées. Ils ont 30 à 45 minutes pour manger, par exemple. Je suis exigeante mais je ne commence pas à casser.

.
Exigeante, mais bienveillante.

Oui, mais pas maternante !

.
D’où, on commence à 16 ans !

Je pourrais travailler avec des 12-13, mais c’est un autre métier pour moi. On ne demande pas la même chose. Je vois déjà la différence entre les 16 ans et les 18. Un monde de différence !

.
Et ça prend !

Oui, mais il faut le faire prendre, ça ne prend pas tout seul. Je ne crois pas au miracle. Il faut le créer ton miracle. C’est le travail de l’équipe professionnelle.

.

La pièce n’est pas facile du tout…

Ah non ! Et tu devrais la voir écrite. Il faut accompagner la première lecture car ils ne comprennent pas. Il faut savoir en avance par quel angle tu vas prendre.

Et mes idées ne sont pas toujours bonnes non plus. J’avais un prof de théâtre russe qui disait « le théâtre, c’est l’art de l’abandon », et je crois que c’est vrai. C’est la première chose que j’inculque à toute l’équipe.

« Il n’y a pas d’avant ». On ne s’accroche pas. Ça évolue.

La distribution est très importante aussi. Je pense que j’ai le feeling pour ça. Trois personnages de cette année sont en fait « un seul corps ». On a passé des heures pour répéter dix secondes.

Ensuite, la difficulté d’une partie de la pièce, la parade, c’est de jouer en groupe. Ils sont huit sur scène en permanence, avec de petites interventions…

.
Les élèves ont des examens, des cours, des obligations,… Comment tu gères les absences ?

Je leur dis : « Il faut être mort pour ne pas venir ». Même si t’as la grippe, tu viens. Ce qui est difficile à gérer, ce sont les répétitions pendant les congés. Les vacances d’un tel, les voyages scolaires, etc.

Mais ils doivent être présents. C’est impossible de répéter s’il en manque un. Tu dis et redis tout le temps que c’est important. C’est un deal, un marché à faire passer.

Mais ce n’est pas forcément plus facile avec des adultes professionnels. Il faut que les choses soient claires et que l’enjeu soit bien perçu.

.
Merci beaucoup pour ce petit tour d’horizon de ta façon de travailler !

Merci à toi !

 

 

Photos : Didier Tourneur