Suite de notre série sur l’ellipse, cette fois on se penche sur…
La comédie musicale !
Cliquez ici pour lire la première partie de l’article, et ici pour la deuxième partie.
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La comédie musicale en général est un genre où la gestion des ellipses est très importante et prouve la valeur du travail collaboratif entre l’auteur et le compositeur (qui sont d’ailleurs parfois la même personne). Il faut raconter une histoire, souvent longue, en chantant ! À priori, le pari est insensé car le chant raconte l’histoire bien moins vite que le récit ou le dialogue ; lui-même étant bien plus long que la lecture… Alors vous imaginez quand des livres aussi épais que Les Misérables de Victor Hugo sont transformés en comédies musicales ? Il en faut, de l’efficacité !
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Très personnellement, c’est cette gestion de la chronologie des événements qui fait de ce genre l’un de mes favoris sur scène. Voyons l’exemple de Legally Blond.
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Legally Blond – The Musical
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Dans la comédie musicale Legally Blond, tirée du film du même nom (La Revanche d’une Blonde, en Europe francophone), plusieurs ellipses intéressantes sont à noter. Voici deux exemples.
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D’abord, la chanson What You Want, dans laquelle Elle Woods, héroïne de l’histoire, fait une découverte : elle s’aperçoit que si son copain l’a quittée, c’est parce qu’il veut épouser quelqu’un de plus intelligent. Elle décide d’arrêter de jouer la fashion-victim de Los Angeles.
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What you want, Warner
What you want is me
But you need to see me in a brand new domain
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C’est là qu’elle décide carrément de postuler pour entrer à Harvard, suivant ainsi son ex pour le récupérer. Entre l’instant de la décision et son entrée à l’université, une chanson suffit !
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Première ellipse
Après avoir exposé la situation à ses amies et reçu les premières réactions, elle se retrouve, sans que la chanson ne s’arrête, avec son père et sa mère qui jouent au golf. Elle leur explique pourquoi elle envisage d’entrer à Harvard et demande leur consentement.
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Deuxième ellipse
Les parents ont accepté de payer si elle est acceptée à l’université. La revoilà avec ses amies qui s’apprêtent à démarrer la saison des soirées arrosées !! Mais voilà, Elle est défendue d’y participer par ses amies. Elle doit étudier pour atteindre le score de 175 au test d’admission de l’école.
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Troisième ellipse
C’est une série d’ellipses qui passent d’un seul coup. Les jeunes gens font la fête autour d’Elle, qui étudie. Elle passe son premier test et obtient 134 ; les fêtes continuent ; on comprend que les jours passent car elle obtient 151 à un deuxième essai. Enfin, sans doute encore quelques jours plus tard, la voilà à 175.
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Quatrième ellipse
On découvre les professeurs d’Harvard qui se chargent des admissions. Le thème musical semble interrompu, la chanson paraît finie sans grande ponctuation… Les professeurs doutent de la candidature d’Elle Woods (nouvelle ellipse; ils ont donc déjà reçu et lu cette candidature), quand soudain, celle-ci fait une entrée triomphale, tout en musique (le thème what you want revient), pour convaincre Harvard de l’accepter.
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I’m what you want, Harvard
I’m the girl for you!
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Les professeurs acceptent et le tout se termine sur une danse effrénée de la troupe.
Pas mal, non ?
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Autre exemple que j’aime bien dans ce musical : la chanson Chip On My Shoulder.
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D’abord, Emmett, un garçon qui fréquente les mêmes cours que Elle Woods, réalise ce qui a mené celle-ci à s’inscrire à Harvard (son ex). Il explique ensuite ses raisons à lui : c’est un peu un écorché vif qui veut se prouver qu’il vaut mieux que ce qu’il a vécu.
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There’s a chip on my shoulder
And it’s big as a boulder
With the chance I’ve been given
I’m gonna be driven as hell
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Première ellipse.
On se retrouve dans la chambre d’étudiante de Elle. Pas besoin pour le public de voir le chemin de l’école à l’appartement. On a bien compris sans que la chanson ait dû s’arrêter. Emmett va s’occuper de la débarrasser de tout ce qui peut la distraire du travail que Harvard exige.
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EMMETT
Can you live without this?
Can you live without that?
I don’t know what this is
ELLE
(spoken) It’s for hair!
EMMETT
Wear a hat!
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Ellipse 2
Soudain, les amies de Elle, que celle-ci voit dans sa tête, surgissent et chantent un air de Thanksgiving, tout en tournant une page du calendrier. Cette fois, on ne fait pas dans la dentelle, on montre avec humour le temps qui passe, sur une mélodie qui n’a rien à voir avec la précédente mais qui s’insère comme si de rien n’était. C’est de l’ellipse mise en scène !
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Ellipse 3
Selon le même principe, les amies tournent le calendrier et chantent un air de Noël. Cette fois, Emmett a disparu de la chambre. Où est-il ? Il arrive justement, pour offrir un petit cadeau-récompense à Elle. Du point de vue de l’acteur : « je sors de la chambre, je fais le tour du plateau, j’arrive par l’autre porte. Ça prend 10 secondes ». Du point du spectateur : des semaines viennent de passer, Emmett rend à nouveau visite à Elle comme il l’a fait plein de fois.
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Ellipse 4
On retourne à l’école. Elle est plus motivée que jamais. Elle gagne un procès fictif en cours et son professeur la félicite. La scène est essentiellement parlée. Puis c’est Emmett qui termine la chanson, tout étonné et ravi de voir les efforts de son amie récompensés.
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She was something to see there
I’m just happy I could be there
First big test and she aced it
She’s so close she can taste it
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Et voilà ! Emballé !
Comme vous l’avez compris, c’est typique de la comédie musicale de créer ce genre d’avancement dans le temps de cette façon, et c’est dû au chant, à la construction mélodique.
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3 autres exemples
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Dans Hairspray, Tracy ouvre le spectacle en chantant Good Morning Baltimore. Elle le fait depuis son lit, du moins tout le premier refrain. En un clin d’oeil, elle écarte la couverture et on la voit habillée, prête à sortir de la maison et affronter la journée. L’habillement est un exemple typique des ellipses dans les comédies musicales et le théâtre : d’ingénieux costumes sont faits pour éviter les scènes inutiles dans les vestiaires, les cabines d’essayage du magasin ou simplement les routines matinales.
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Le reste de la chanson est fait des différentes personnes qu’elle croise tous les jours sur son chemin pour aller à l’école. On imagine un trajet d’une quinzaine de minutes mais rien de tel n’est expliqué. Notre cerveau interprète en fonction du nombre de gens qu’elle croise et avec qui elle chante.
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Dans Groundhog Day (Tim Finchin), Andy Karl joue le rôle de Phil Connors, un journaliste météo pas très sympa qui se réveille chaque matin…à la même date, coincé dans un petit village de montagne où l’on célèbre la journée de la marmotte. Pendant tout le spectacle, Phil revit la même date. Vous imaginez bien que c’est un spectacle REMPLI d’ellipses car il faut illustrer les mois que le personnage va vivre dans cette situation surréaliste (certes, il se réveille toujours dans la même journée mais il se souvient de la veille donc il ressent bien les mois qui passent). Très intéressant car pour ne pas simplement remontrer la même chose sur scène sans cesse et sans cesse et sans cesse…les ellipses doivent varier. Il y a un moment clé très important au début du spectacle : le passage de la journée somme toute banale du personnage (le premier jour de l’histoire), au deuxième jour…qui est une répétition du premier. Toute l’intelligence de la mise en scène consiste à doser les similitudes et les différences entre ce qu’on voit avant la faille temporelle et après celle-ci. Le spectateur n’a pas le temps de s’ennuyer une seconde, car plus on avance, plus les ellipses sont présentes. Le spectateur a déjà vu tout ce qu’il doit voir de cette journée qui se répète, pas besoin de tout lui refaire.
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Billy Elliot (Elton John) est également un très bon exemple car la forme du spectacle en elle-même est basée sur un flou spatio-temporel. Le metteur en scène n’hésite pas à montrer tout en même temps : les jeunes danseuses de ballets, Billy Elliot découvrant sa passion, la grève des mineurs, … et le temps passe selon cet ordre établi. Tous chantent la même chanson, dansent ensemble (les policiers, les mineurs, les jeunes filles, Billy, …) et l’on comprend pourtant très bien ce qui se passe.
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Il y en a bien d’autres, bien entendu. Il faut bien que je m’arrête. Si vous avez des exemples en tête, n’hésitez pas à les ajouter en commentaires !
Sébastien
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Photos :
Hairspray : Thomas Hawk
Billy Elliot : Andy Roberts
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