S’inspirer d’un bon spectacle théâtral

Tant qu’à faire, cette année, vous voudriez vous inspirer d’un bon spectacle…
Vous ne voulez pas copier mais simplement observer attentivement les recettes et,
si elles vous conviennent, les appliquer.

 

Vous êtes alors immédiatement confrontés à la question : 
« C’est quoi, un bon spectacle ? »

 

Tartuffe

Un bon spectacle

 

Je reviens d’Avignon, où je suis allé voir une douzaine de spectacles théatro-musicaux au le festival off. Certains étaient géniaux, d’autres médiocres. Mais pourquoi ? Je me pose des questions.

 

  • Pourquoi certaines troupes vont-elles à Avignon (c’est un investissement énorme !) avec des spectacles qui ne tiennent pas la route ?
  • Comment assument-elles les critiques ?
  • Pourquoi une équipe de personnes motivées et de chanteurs compétents se retrouve-t-elle coincée dans des productions super plates ?
  • Comment est-ce possible que personne n’ait corrigé le tir avant la première représentation devant public ?
  • Pourquoi d’autres spectacles sont génialissimes ? Qu’est-ce qui fonctionne ?

 

Subjectif ou objectif

 

Je me suis rappelé la grande part de subjectif dans l’appréciation d’un show. Il est certain que nous sommes, heureusement, tous différents et que nous ne sommes pas tous touchés par les mêmes choses.

 

Par exemple, quand je vais à Avignon, j’aime beaucoup être surpris par une troupe, par une histoire, par une innovation, par quelqu’un qui ose, par une nouveauté… Je délaisserais volontiers de grands classiques du théâtre (j’en ai vus un ou deux quand même 😉 pour tester différents univers inédits.

 

C’est déjà très subjectif : beaucoup, j’imagine, se déplacent jusque dans le Vaucluse pour applaudir les meilleures reprises de Molière ou de Shakespeare. Je dois d’ailleurs dire que « Le Jeu de l’Amour et du Hasard » m’a beaucoup plu à cette édition 2016.

moliere

De même, les thèmes abordés dans les pièces vont parler à certains et pas d’autres. Je serai sans doute ému par un thème sur la famille, l’exclusion, l’enseignement, la parentalité, les relations sociales, … quand quelqu’un d’autre sera peut-être davantage remué par la guerre, l’histoire, le milieu du travail, les réfugiés, …

 

C’est sûr, on est tous différents, donc on n’aime pas les mêmes choses…

MAIS…

 

Mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’à partir d’une certaine somme d’éléments « négatifs », plusieurs personnes devaient se « rendre compte ».

 

Par exemple, dans les pièces que j’ai vues à Avignon, on trouve dans celle que j’estime la plus mauvaise :

 

  • des danses inutiles par des non-danseurs,
  • des costumes ostensiblement bon marché,
  • des chansons aux paroles inintéressantes,
  • des bandes son à la qualité moyenne,
  • des copies pâlottes de certains classiques du cinéma,
  • des pseudo-messages moraux (prétextes pour un spectacle engagé ? d’intérêt ?)

 

Je ne suis pas tendre, je sais. Par écrit, ça paraît même très dur. Il faut savoir que j’oublie d’évoquer, pour le sujet de cet article, les aspects positifs de la pièce (de bons chanteurs et de bons effets de décor, par exemple).

 

Mais là où je veux en venir, c’est que
plusieurs spectateurs ont dû remarquer les mêmes choses que moi, non ?

Mon theatre buddy, mon ami de théâtre a bien ressenti la même chose que moi, en tout cas. Je me souviens que la claque était d’ailleurs très peu réactive et très poussée par l’équipe technique, dans le fond de la salle.

Est-ce que d’autres personnes que lui et moi ont été aussi peu enthousiastes ?
Ou est-ce simplement mon œil d’habitué ?

 

La date ! Les comédiens

comedien

Il est vrai que le spectacle vivant n’est pas le cinéma ! Les personnages et l’histoire sont incarnés par des humains sur scène. Tous les jours (parfois plusieurs fois par jour), ils se mettent dans la peau des héros et ils défendent un objet certes fragile qu’est le récit mis en scène devant d’autres humains. L’homme n’est pas parfait. C’est ce qui fait le charme des spectacles vivants. On a tous des « jours avec » et des « jours sans », le théâtre aussi !

 

Je raconte souvent la fois où j’ai vu Le Roi Lion (The Lion King) à Londres. Je n’ai pas aimé et beaucoup de gens ne comprennent pas comment on peut « ne pas aimer » un show pareil. J’ai tous les éléments d’explication :

 

    • C’était en matinée (dans le monde du théâtre, ça veut dire en première partie de la journée, matin ou début d’aprem, donc ici vers 15h). J’aime beaucoup moins les matinées que les soirées, ça me déprime d’entrer dans une salle de théâtre ou de cinéma quand le soleil brille dehors, exception faite d’Avignon…

 

    • Le jeune Simba chantait faux. Eh oui ! Était-il fatigué ? Possible ! Etait-ce un swing inexpérimenté (un remplaçant) ? Possible ! Toujours est-il qu’il chantait faux. Pas tout le temps, mais si je vous rappelle les prix des tickets du West End, vous comprendrez pourquoi c’est un peu décevant.

 

    • Je me suis dépêché pour arriver au théâtre. Mauvaise gestion des transports en commun londoniens, je suis arrivé tout juste tout juste pour le début du show ! C’est sûr qu’il y a des façons plus confortables d’entrer dans l’ambiance d’un show.

 

    • J’étais loin. Malgré les prix, j’étais assis très loin dans la grande salle de spectacle et qui plus est, sous un vent d’air frais de la climatisation… On ne sent pas forcément en Afrique quand on doit mettre un pull…

 

 

 

Quand on me demande pourquoi je n’ai pas apprécié The Lion King, je réponds tout ça. Un mélange de subjectif (matinée, retard, placement de salle) et d’objectif (chant d’un interprète).

 

L’opinion des autres

 

Revenons à Avignon.

Cet article sur la réflexion que je me suis faite après le mauvais spectacle paraît un peu grincheux. Promis, la prochaine fois, je vous commente la joie que m’ont procuré plusieurs shows incroyablement ficelés et fantastiquement interprétés. 🙂

 

Pour vérifier si je suis le seul à penser que les costumes, les chants, les danses ; tout ça était très mauvais, je vais sur un site de critique, où le public vote et donne son avis. Apparemment, plus de 9 personnes sur 10 aiment le show ! Je pourrais me dire que je me suis trompé, que j’étais de mauvais poil ce jour-là…mais non ! Je n’y arrive pas ! Mon égo est-il surdimensionné ? Les places étaient bonnes, je n’avais d’air climatisé dans le visage, j’étais en bonne compagnie, les sièges étaient corrects, la place était bonne… Toutes les circonstances étaient réunies pour que je passe un bon moment.

evaluation

En outre, j’avais entendu parler du show mais n’en connaissais ni l’histoire, ni les chansons, ni les noms de l’équipe… Bref, je n’en attendais rien de spécial…

 

L’attente du spectateur

 

 

… car, j’en suis persuadé, l’attente du spectateur joue un rôle énorme sur l’appréciation de celui-ci. Prenez le cinéma : si vous vous êtes mordu les doigts dans l’attente de chaque nouveau volet de « Harry Potter », la sensation que vous a procuré sa sortie a été décuplée par votre impatience ! Si vous avez aimé, alors vous avez A-DO-RÉ. Si vous avez été déçu, vous aviez quasi envie de vous flageller à la sortie de la salle. Vous suivez ? Ça a déjà dû vous arriver.

 

Si les critiques, les communiqués de presse ou encore la publicité vous annonce un spectacle comme étant « la meilleure comédie depuis XYZ » ; si l’affiche du film met en avant l’indication « par les réalisateurs de UVW » ; si une maison d’opéra annonce un célèbre musical comme un « opéra-thriller », cela crée des attentes. Avez-vous aimé tous les films de Spielberg de la même façon ? Tous les Molières ? Tous les Disneys ?

 

Bon, vous avez compris.

 

 

Le succès

salle-comble

Ce qui me console, c’est le taux de remplissage de la salle. Pas que je souhaite un bide à la troupe de mon « mauvais spectacle », mais ça me rassure de me souvenir que la salle n’était que très peu remplie. Le bouche-à-oreille aurait-il décelé les éléments négatifs que j’ai cités ci-dessus ?

 

Les salles des deux spectacles que j’ai adorés dans ce festival (citons-les, ça ne fera pas de tort

  • Naturellement Belle, Rachel Pignot, Raphaël Callandreau
  • 31, Gaëtan Borg, Stéphane Laporte, Stéphane Corbin )

 

… étaient combles ! Pour 31, j’ai dû réserver ma place deux jours à l’avance ! Bon, il y a l’effet « Virginie Lemoine », sans doute. Un nom connu amène toujours un peu de public. Mais quand même, ça fait plaisir pour eux. Succès mérité.

naturellement-belle

 

Quelles différences, alors, avec le spectacle que je n’ai pas aimé ?

 

Difficile à dire. Je pense que le spectacle en question sous-estime son public car il s’adresse aux enfants. Un show pour enfants nécessite une réflexion différente, de la part des créateurs, qu’un show pour adultes. Pour moi, un spectacle pour enfants doit s’adresser aussi aux plus grands, faire résonner quelque chose en eux. Tout à la fois, il doit garder les enfants comme première cible, sans les prendre pour des idiots. Voyez les dessins animés Disney, Pixar, Warner… ne sont-ils pas « faits pour les enfants » au départ ? Ils sont pourtant tout aussi touchants et hilarants pour « les grands ».

 

Naturellement Belle évoque le monde du travail, tandis que 31 tisse les liens d’une amitié plurielle pendant des décennies. Ce sont clairement des sujets qui ne touchent pas les enfants. Il faut chercher ailleurs les points de comparaison si je veux exprimer ce qu’est un bon spectacle. Voyons comment j’y arrive :

 

    • Les performeurs ne font que ce qu’ils savent faire (pas de chorégraphie s’ils ne sont pas danseurs)

 

    • La sobriété (si le budget ne permet pas d’extravagance, ne pas en faire)

 

    • Des références qui « parlent » au public, sans qu’elles semblent « copier » l’original

 

    • Le texte met en valeur les comédiens. Les comédiens mettent en valeur le texte. Le jeu d’acteur est essentiel, vécu, travaillé.

 

    • Le son est bon

 

 

 

J’entends souvent qu’un bon spectacle, c’est un spectacle qui « fait passer un bon moment » ; qui déclenche des rires ou des larmes, des réflexions, des étonnements, … Je suis d’accord, c’est un bon résumé du point de vue du public. Mais comment fait-on passer ces émotions ? C’est toute la question dès le moment où l’on est de l’autre côté du rideau ; quand on crée le spectacle.

 

En effet, pour reparler des sites de critiques du public, le classement est assassin : sur quelques 1400 pièces présentées au festival off d’Avignon, on en retrouve certaines en tout début de liste, d’autres en toute fin. Il doit y avoir quelque chose de commun aux spectacles qui se retrouvent dans les dernières positions. Pourtant, tous ces spectacles « en fin de liste » ont été créés par des gens qui y croyaient, qui étaient sûrs de faire passer un bon moment, qui croyaient à la transmission d’émotion de leur sujet, … J’espère pour eux, en tout cas ! 🙂

 

Pour info, le « mauvais spectacle » dont je parle plus haut est dans le top 200 du classement To See Or Not To See, l’appli smartphone où le public évalue ce qu’il a vu. (Note spectateurs : 4,4/5 – Jauge : 200 places – 19 votants). C’est donc franchement pas mal, on peut se dire, pour un spectacle que je n’ai pas aimé. Quant à Naturellement Belle : Place au classement : 395 – Note spectateurs : 4,4/5 – Jauge : 88 places – 31 votants). Difficile de comprendre ce qui les sépare puisque la deuxième salle est plus petite, qu’il y a plus de votants et que la note des spectateurs est la même.

 

Quand je vous parlais de « subjectif »…

 

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Conclusion

 

 

Il y aurait encore de nombreuses choses à dire sur le « comment faire passer une émotion dans le but de créer un bon spectacle« , on peut parler de mise en scène, de jeu de comédiens, de 4ème mur, (…) mais j’aimerais résumer et terminer par une phrase que j’aime bien, de Pierre Querniard, directeur du théâtre de Saint-Lô (Normandie) :

« Un bon spectacle, pour moi, c’est un spectacle exigeant,
tant sur le fond que sur la forme. »

 

Et pour vous, c’est quoi un bon spectacle ? N’hésitez pas à laisser un commentaire !
Sébastien

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Crédits photos :
Tartuffe : UIS Theatre
Molière : Ian Grandjean
Comédien : Jonathan Kos-Read
Vote : Paul Irish
Salle comble : Webstern Socialiste
Public rit : thinkmedialabs