La série « Ce que peut nous apprendre… » se penche sur les spectacles scolaires, amateurs ou semi-pros que j’ai vus, et en retire les éléments qui ont fonctionné et qui peuvent donc vous aider à créer un spectacle. Celui-ci est le premier de la série.

 

Dans ce cas-ci, il s’agit d’une école de danse, celle de Joëlle Morane, et du spectacle « Qui a peur de Madame Moranovitch? ». J’y ai assisté au Cirque Royal (Bruxelles), ce dimanche 17 avril 2016.

Affiche-Moranovitch


« Un spectacle d’école rempli d’ingrédients professionnels ! »

 

C’est vraiment ce qui m’a paru en être le meilleur résumé, quand je suis sorti de la salle. Voici ce que j’en ai retenu pour vous, qui montez un spectacle scolaire.

 

  • Un spectacle à producteurs

Un spectacle d’école avec des producteurs, ce n’est pas si fréquent que ça…mais ça arrive. Anna et Simon Orlenbach sont eux-mêmes les parents de Jonathan, qui est entré dans la troupe en 2012. (Oui oui, on parle de « troupe de Joëlle Morane » et non de « classes ». On peut déjà parler d’une volonté de distinction par rapport aux écoles habituelles).

 

moranovitch

Vous me direz : « ça ne s’invente pas, être producteur ! Comment appliquer cela à mon établissement ? » Voici un extrait du site de Mme Morane (joellemorane.be)

Simon et Anna savent que produire un tel spectacle tout en conservant leurs activités professionnelles d’origine, demande beaucoup d’énergie, mais ils sont conduits par l’enthousiasme des jeunes artistes du monde créatif de Joëlle, ainsi que la mission derrière tout cette organisation.

Une triple action :

– Permettre aux jeunes artistes de se produire sur des scènes prestigieuses
– Donner envie aux enfants de découvrir leurs talents
– Permettre aux enfants malades de réaliser leurs rêves

 

Y a-t-il, dans les parents de vos élèves, des personnes prêtes à donner de leur temps pour chercher des sponsors, voire des subsides ? Avez-vous possibilité de financer une partie du spectacle grâce à du financement participatif, le crowdfunding ? Une vente de lasagnes ? (Un futur article sera dédié au financement). Sans aller jusqu’à trouver un « producteur » attitré, il est sans doute possible de lever des fonds en suffisance pour ne serait-ce que s’occuper de la qualité des costumes et/ou des décors. Si vous ne vous êtes jamais posé la question, tentez de le faire brièvement : prenez une feuille et listez 10 idées spontanées de ce qui pourrait changer dans votre spectacle si vous trouviez des financements.

 

Si vous avez la chance d’avoir un/des producteurs, alors c’est « la chasse au trésor » qui commence. Par exemple, les costumes de Mme Moranovitch sont en partie fournis par un magasin qui sponsorise le show. Certains auront peur de donner un côté trop « commercial » à leur établissement (c’est le cas où je travaille) mais cela change-t-il votre point de vue si je vous disais que les bénéfices de « Mme Moranovitch » sont reversés à l’association « Sauvez Mon Enfant » qui s’occupe de l’accueil des enfants à l’hôpital ?

Eh oui, la « production de spectacle » peut en rehausser grandement le niveau. Pas seulement avec les décors et les costumes mais aussi avec la « pression » que cela met sur la troupe. Un spectacle dans une salle prestigieuse, aux prix d’entrées relativement élevés, … cela peut suffire à la volonté de travailler d’autant plus !

Investir le Cirque Royal de Bruxelles (jauge de 2000 places, quand la capacité est pleinement exploitée) n’est pas une mince affaire. Toutes les troupes ne peuvent pas se le permettre; il faut aussi que la qualité soit au rendez-vous. Et on peut dire que les chorégraphies de « Mme Moranovitch » respiraient le travail et la précision. Cela paie : à vue d’œil, plus de mille personnes remplissaient la salle.

 

  • De bonnes idées pour un show de danse

Jusqu’à maintenant, quand j’assistais à un spectacle de danseurs en apprentissage, je voyais surtout un enchaînement un peu long et systématique de tableaux dansés, point. On sort de ce canevas ici, grâce à la présentation originale de « Mme Moranovitch ».

moranovitch-faitpeur

La Moranovitch est en fait un personnage haut en couleurs, symbole de la rigidité légendaire des professeurs de danse classique. Elle dirige une école de danse et passe son temps à tirer les oreilles des élèves, à chouchouter son chien adoré et à fabuler sur son passé de danseuse étoile. Vous l’avez compris, l’auto-dérision se rencontre aussi dans la danse 🙂

 

  • Parler pendant les danses

Un ingrédient qui fonctionnait assez bien, c’était la rengaine « râleuse » de notre professeur à l’accent exagérément russe. Le personnage campé par Odile Matthieu parlait sans gêne pendant les danses, les commentant avec humour : « C’est tRès mauvais (…) Aïe aïe aïe (…) On diRait des hippopotames ».

Le fait d’ajouter des mots sur la danse offre à certains spectateurs moins sensibles au visuel d’apprécier les moments dansés de façon différente. La prestation des petits danseurs n’en pâtit pas.

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Si vous optez pour cette méthode dans votre école, attention néanmoins ! Dans ce cas précis, les paroles du personnage principal sont dévalorisantes. Cela fait sens dans ce spectacle d’enfants  parce que ceux-ci sont, justement, très bons, précis, bien préparés ! Si vos élèves ne sont pas « une troupe » intensément formée, préférez des interventions parlées qui ne commentent pas ce que font les danseurs. L’auto-dérision, c’est bien. L’auto-sabotage, c’est autre chose… 😉

 

  • Des blessés sur scène

Finalement, je n’ai pas réussi à vérifier si les élèves qui sont apparus sur scène en béquilles et plâtre le sont restés jusqu’au bout. J’écris quand même ce petit paragraphe car c’est quelque chose que j’ai déjà vu ailleurs : si vos élèves se blessent peu avant le spectacle (ça arrive plus souvent qu’on ne le voudrait), analysez calmement dans quelle mesure vous pouvez toujours les intégrer au show. Si les blessés sont les seuls danseurs de votre classe, c’est sûr qu’il va falloir changer un peu la scène. S’ils chantent, par contre, demandez-vous s’il y a moyen que leur personnage soit également blessé dans le récit. Peut-être qu’il vous suffira d’ajouter une ou deux répliques dans le texte pour que le handicap temporaire ne change rien à l’histoire. Cela fera des heureux.

Si la seule solution est d’exclure les blessés de la représentation, il faut alors penser « consolation » et « doublure ».

 

  • Un prof sur scène

Un groupe de petites danseuses est visiblement mené par une fille plus âgée. Dans l’histoire, celle-ci est l’assistante de Mme Moranovitch, la prof de danse.

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Un point intéressant ici, puisqu’on voit souvent, dans les spectacles scolaires, les professeurs/institutrices se planter devant les élèves pour leur montrer ce qu’il faut faire en temps réel. C’est souvent le cas pour les classes de maternelle.

Cet exemple peut vous faire réfléchir : est-ce que votre rôle de « guide gestuel » ne peut pas prendre la peau d’un « personnage » de l’histoire pour justifier votre présence sur scène ? Par exemple, est-ce que, en plus d’être « madame Aurélie », vous ne deviendrez pas soudain « Dolores Van Cartier » qui dirige les sœurs chanteuses du couvent de Sister Act ?

 

  • Un vocabulaire osé

…qui n’est jamais devenu vulgaire et qui fonctionnait assez bien. Pourtant, jamais je n’avais entendu auparavant à un spectacle d’enfants : « On va tous les niquer » ou « Prends du Prozac et de la Vodka ». On peut citer aussi la cigarette de la prof de danse, qui crédibilise le personnage. Et puis la phrase gentiment provocante : « C’est quoi cette langue qui fait mal aux oreilles? » en parlant du Néerlandais. Tout un contexte quand on joue à Bruxelles, ville bilingue.

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Des adult jokes, donc, que les enfants comprennent mais qui réveillent surtout l’intérêt des plus grands dans le public.

Attention, dans « Qui a peur de Mme Moranovitch », seule la comédienne adulte use de ce langage. Ne vous laissez pas complètement aller non plus, de peur que les parents ne portent plainte à la direction 😉

 

  • D’autres disciplines insérées

Comme on l’a déjà vu dans ce blog, il est toujours intéressant de varier le spectacle avec des forces annexes présentes dans la troupe. Le show de danse de Joëlle Morane met en avant les talents d’un petit violoniste, ainsi que d’une petite chanteuse. Mme Morane n’est ni prof de violon, ni prof de chant, mais elle a su choisir finement deux personnalités qui varient agréablement le cours de la soirée.

 

  • Le moment « public »

Eh oui, ça fonctionne souvent ! Vous savez, le moment où l’on comprend que les comédiens vont se servir des spectateurs. Les trois premiers rangs suent quelques gouttes, de peur de se faire entraîner sur scène, et les autres, ceux qui se sentent en sécurité, sont finalement satisfaits d’avoir payé une place moins chère 😉

Ici, c’est juste un pas de valse qu’a esquissé ce monsieur du public avec une Madame Moranovitch de bonne humeur.

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Une autre intervention venant du public était plus surprenante. Une mamy se lève, dans les premiers rangs. Elle est immédiatement éclairée par la poursuite et sonorisée. Elle crie vers la scène : « Sarah, viens par-ici, je ne te vois pas ». S’en suit une discussion surréaliste (car elle dure !) entre Moranovitch sur scène et la mamy qui ne veut pas se taire. Petit moment « sketch » qui parle sympathiquement au public familial.

 

  • Le carnet de notes

Madame M. déambule sur scène avec son bloc de feuilles. Pourquoi pas?

Ne vous faites pas trop mal si vous êtes enseignant(e) et endossez un rôle. Beaucoup de personnages sont crédibles en tenant un carnet de notes. Réalisateurs, journalistes, professeurs, etc. Personne ne vous en voudra, surtout si vous n’avez pas de formation de comédien(ne).

Même chose pour les élèves qui ont du texte à retenir. Si vous êtes dans l’urgence au niveau de l’apprentissage, quelques trucs existent. (Voir l’article « panne de mémoire« ).

 

  • Un micro pour tous, tous pour un micro

Les enfants ne sont pas tous microtés. S’ils ont une petite intervention parlée, ils se penchent simplement vers le visage des comédiens qui le sont, comme Madame M. ou son fils Igor.

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Une solution qui évite d’immenses prises de tête (micros canons, micros d’ambiance, micros qu’on s’échange en coulisse, etc.). Croyez-moi, si vous avez des micros, cherchez la simplicité.

 

  • Le final

Cela peut paraître une évidence aux personnes du métier, mais il est bon de le rappeler ici : créez un final « qui en jette ». Faites monter tous les intervenants à ce moment-clé du show. On dit souvent, dans le milieu de la scène : les meilleurs morceaux au début et à la fin car ce sont ceux que l’on retient.

Chez Joëlle Morane, les classes de la troupe apparaissent une à une, sur chaque couplet du célèbre « Kalinka ». Une fois toutes les tranches d’âges réunies, le final se danse en grand nombre (N.B.: pensez toujours à l’effet de nombre, efficace et facile à créer) sur un air folklorique très entraînant. Bravo Joëlle et son équipe !

Si vous avez réussi à fédérer vos collègues dans un grand projet de spectacle commun pluridisciplinaire; si vous avez mis en scène vos élèves de tous les âges dans des tableaux successifs différents; si vous avez valorisé les tâches de coulisses en apprentissages du métier, alors ramenez tout ce beau monde sur scène pour un final et un salut qui font mal aux oreilles tellement le public applaudit 😉

 

Le spectacle s’achève en félicitant les professeurs qui font répéter les élèves… Mais Madame Morane  reste dans l’ombre pour recevoir son bouquet de fleurs 😉

A bientôt pour de prochains conseils dans cette série « Ce que peut nous apprendre… » !

 

Sébastien

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Avec l’aimable autorisation de Anne Orlenbach pour l’utilisation des photos de la troupe.
Visitez www.joellemorane.be pour en trouver d’autres.